Les Mariniers et La Pierre-Percée
Y. Huteau
L’arrivée des mariniers autour de la Pierre-Percée n’est pas datée de façon précise. On peut la situer au cours du 18ème siècle. Les plans des rives de la Loire et des îles qui seront peu à peu confiées à des notables ne sont pas assez clairs avant la seconde partie du 17ème siècle. La crue de 1711, par son niveau exceptionnel, a modifié les rives du fleuve et tracé dans le sable les boires que nous retrouverons un siècle plus tard (voir le cadastre de 1810).
La vallée de la Loire s’est peuplée progressivement, au fil des ensablements du fleuve royal.
Retrouver des traces de la population n’est pas facile, pas ou peu de notables dans ces endroits soumis aux crues où la vie était rude et les éléments naturels capricieux. Toutefois les hommes avaient besoin de se déplacer, de transporter les marchandises, les bêtes et les gens. C’est ainsi qu’est né le métier de marinier, transporteur fluvial, on disait voiturier par eau au 18ème siècle.
La géographie qui nous a légué les coteaux entre la Varenne et le Cellier a vu fleurir, dominant le fleuve, les signes du pouvoir : châteaux de Clermont et de la Varenne, et souvenirs anciens, les vestiges du manoir du 15ème siècle, ancienne demeure d’un frère du Duc Jean V de Bretagne, à l’Epine-Gaudin en la Chapelle Basse-Mer.
Au sud du fleuve, quelques notables se sont installés sur le coteau : demeures de la Vrillère, de la Barre, de la Sangle. Puis au 16ème siècle, au milieu de ces eaux ensablées, voilà un village : Saint-Simon, également nommé Port de Mauves. En effet ce village né au milieu des sables, à 7m50 au dessus du niveau de la mer, est plus proche de Mauves que de l’église de La Chapelle Basse-Mer
On raconte qu’au 17ème siècle la Marquise de Sévigné qui possédait la maison et les terres de la Sangle descendait du bateau à Saint-Simon pour rejoindre, par Mauves et le pont de Gobert entre Mauves et Carquefou, ses cousins qui étaient au château de la Seilleraye.
Aujourd’hui je n’ai pu trouver présents sur les terres de la vallée au 17ème siècle que deux nobles.
Le premier est Louis Le Texier qui porte le titre d’écuyer. Il demeure, en 1680, au château de Goulaine et est qualifié de sieur de Saint-Simon. Sa famille, portant le titre d’écuyer, sera présente à Saint-Simon jusqu’en 1742. Les mariages ont lieu dans la Chapelle de Saint-Simon. Puis les biens passeront à un neveu. Cité au cadastre de 1810 avec terres et maisons et, en 1840, exerçant la fonction de trésorier du conseil de fabrique, élu municipal : Hypolite Beauchêne de la Morinière habitant Saint-Simon participera à la gestion du Syndicat de la Levée de la Divatte.
Le second est Jean-Baptiste du Breil, écuyer, qui s’est marié à la Chapelle Basse-Mer, dans la chapelle de la Sangle, le 30 avril 1686. Possédant les maisons et les terres de la Sangle, ses enfants naîtront soit à Nantes soit à La Chapelle Basse-Mer. Vers 1700, il achètera le château du Buron de Vigneux de Bretagne aux héritiers de la marquise de Sévigné. Parmi ses descendants, nous retiendrons en 1778, son gendre, Charles Clovis Brillet de Candé, portant le titre de Baron, Capitaine de cavalerie. Un de ses fils est cité au cadastre de 1810, dans plusieurs lieux notamment au village de Saint-Simon et à la Sangle où il possède des maisons et des terres.
A la suite de ces deux nobles, viennent les notables, hommes de loi (conseillers du roi, avocats au présidial, greffiers des juridictions locales), commerçants de Nantes enrichis par les mouvements du port, capitaines de bateaux voguant vers les Antilles, procureurs fiscaux (percepteurs des taxes pour les seigneuries). La plupart vont essayer de se rendre propriétaire de terres et, au fil du temps, ajouter le nom de cette terre à leur nom familial. Ce qui nous permet de trouver des noms de lieux dans les actes. Bien que les intéressés ne soient pas nobles on retrouve la trace des villages où ils possèdent terre ou maison.
On trouve donc au 17ème siècle, des noms qui sont suivis d’une mention : sieur de la Pilardière, sieur de la Pinsonnière, sieur de la Chabottière, sieur de la Grille. Mais je n’ai pas trouvé de sieur de la Pierre-Percée ou de sieur du Norestier.
De nouveaux habitants sont certainement venus habiter ces terres nouvelles. Dès que les notables avaient obtenu de la juridiction royale le droit de faire valoir les îles ensablées, d’abord pour marquer leur territoire et ensuite pour favoriser l’ensablement, ils faisaient planter ces îles : oseraies, saules, peupliers. Pour ce travail, ils feront venir les enfants des laboureurs du coteau.
Au fil des années, nous avons retrouvé des plans des nouvelles parcelles qui sont mises en valeur sur les bords du fleuve. Partant de l’amont, de l’île Gaudin, (en face l’Epine), puis de l’île de la Vrillère (en face Saint-Simon), puis de l’île Barre (vers la Pinsonnière), puis la queue de l’île qui s’ensable en face de la Pilardière, les terrains vagues, les grèves et les boires restent du domaine commun et sont utilisés pour la subsistance des habitants qui pratiquent l’élevage de basse cour (oies), de petit bétail (moutons), et la pêche.
Dans ce paysage, les mariniers ne sont pas les moins remarqués. Ils ont besoin de bras pour le chargement et le déchargement du bateau. Ils proposent plus de liberté, l’attrait du voyage. Au début du 19ème siècle, dans presque toutes les familles de laboureurs des villages des bords de Loire, on trouve plusieurs enfants mariniers. Un des lieux favorable à la rencontre entre les laboureurs et les mariniers sera le port de Saint-Simon, dernier port fluvial en amont de Nantes.
Nantes, premier port de France au 17ème siècle, développe une activité intense. Les marchandises remontent jusqu’à Paris en empruntant la Loire. La navigation se fait alors sur le bras de Loire qui est le plus au sud. Dès que la Divatte a épousé la Loire, en amont de ce que nous appelons aujourd’hui la Boire d’Anjou, elle revient vers le sud pour tracer les contours de cette succession d’îles dont la partie aval viendra mourir à la Pierre-Percée. Entre le Rez-Courant (la Boire-d’Anjou) et le Pavillon (la Pierre-Percée), la boire de Saint-Simon est née. La navigation y sera importante jusqu’à la fin du 17ème siècle. Au fil du temps, le courant, renvoyé par le coteau de Mauves, creusera le lit plus au nord, puis passé les hauteurs de Mauves, reviendra vers le sud dans les sables qui s’étirent vers Goulaine. Sous l’action conjuguée des courants de la Boire-Chapoin et de la Divatte la boire de Saint-Simon s’ensablera, d’abord en amont puis, au 18ème siècle, jusqu’au village qui ne communiquera plus avec la Loire que par l’aval. Au cadastre de 1810, les traces de cette boire sont très nettes, et on distingue encore de nombreuses boires qui assureront le lien entre le port et le coteau. A partir du 18ème siècle, certains mariniers descendront vers l’aval.
En 1840, il y avait une cinquantaine de mariniers dans les villages qui forment ce que nous considérons aujourd’hui comme la Pierre-Percée : les Bois, le Bagueneau, la Degondelle, les Levées, le Pavillon, la Lamière, le Chaussin-Rioux, la Grimaudière..., mais il restait encore une vingtaine de mariniers à Saint-Simon.
Les mariniers ne sont pas des notables. Ils ne font pas suivre leur nom du nom de leur village. Pour les retrouver, il faut remonter les généalogies familiales. Vous trouverez en annexe un exemple pour illustrer mon propos. Pour ne pas choisir, je m’en tiendrai à mon nom de famille.
Je souhaite que d’autres familles de la Pierre-Percée puissent faire des recherches, mais il ne semble pas exagéré de dire que la Pierre-Percée est venue prendre la suite du Port de Saint-Simon. Les habitants actuels de Saint-Simon sont très heureux de cette continuité qui leur permet encore aujourd’hui de rejoindre la Loire avec des amis.
Ne remontant (avec la marée) que les trois derniers siècles, ces propos tenus au fil de l’eau, ne cherchent qu’à faire revivre les hommes et les femmes qui nous ont précédé sur les rives de notre beau fleuve royal.
Juillet 2011 - Yves Huteau
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