Le Pertus Chuerin et Barbechat
Rédaction de Yves-Bernard Gasztowtt
02.12.2009 au 12.01.2010
Table des matières
I - Le toponyme : Pertus-Chuerin.
1 - Pertus.
2 - Chuerin
3 - L'écriture de Pertus-Chuerin.
II - Le toponyme : Barbechat.
1 - Les données du XIe siècle.
2 - L'explication inaboutie du curé Bioret.
3 - L'intuition de Reynald Secher.
4 - L'article : barbacane du Dictionnaire historique de la langue française.
5 - Les invraisemblances historiques et pratiques de l'étymologie : barbacane.
6 - La véritable étymologie de Barbechat.
III - Situation et nature des monuments du Pertus-Chuerin.
1 - L'époque néolithique.
2 - Le tumulus.
3 - La motte.
4 - Le château à motte.
5 - L'église Sainte-Magdeleine.
6 - Le presbytère.
7 - Le cimetière.
8 - La translation de l'église Sainte-Magdeleine.
9 - Le moulin à Boumard.
10 - Le coteau.
11 - Deux grottes.
12 - Les chemins.
13 - Puits, réservoirs et chemin creux.
IV - Légende et chronique sur Barbechat.
1 - La légende du Pont-de-L'Ouen.
2 - La chronique du Patrimoine des communes de Loire-Atlantique.
V - Le Pertus-Chuerin gaulois.
1 - Le chemin de rive de la Divate.
2 - Le Pertus-Chuerin, confluent aménagé.
3 - Le plateau du Pertus-Chuerin.
4 - L'éperon du Pertus-Chuerin est comparable à un oppidum.
5 - Le tumulus du Pertus-Chuerin est le vestige d'une nécropole.
6 - Position du tumulus et de la nécropole sur le plateau du Pertus-Chuerin.
7 - Formes et dimensions du site gaulois.
8 - Quatre mamelons.
VI - Des permanences problématiques de l'Age du Fer jusqu'au haut Moyen-Age.
1 - La permanence du peuplement, de l'occupation romaine aux carolingiens.
2 - La permanence des structures agraires et des sites habités.
3 - La permanence de l'habitat indigène pendant la période gallo-romaine.
4 - Des perspectives historiques à reconsidérer.
5 - La construction de la voie romaine Vertou - Le Loroux-Bottereau - Champtoceaux.
VII - Le Pertus-Chuerin au XIe siècle.
1 - L'héritage.
a - L'héritage gaulois.
b - L'héritage gallo-romain.
2 - Le château à motte.
3 - Le château à motte de Barbechat réemploie le tumulus et les matériaux de la nécropole.
4 - Organisation du château à motte.
5 - L'inversion de l'entrée du site antique du Pertus-Chuerin.
6 - Guillelmus de Barba Cati et ses liens féodaux.
a - La châtellenie de Champtoceaux.
b - La châtellenie du Loroux-Bottereau.
c - La châtellenie de l'Epine-Gaudin.
VIII - Déclin et abandon du Pertus-Chuerin à partir du XIIIe siècle.
1 - La forêt occupe le site du Pertus-Chuerin.
2 - Le domaine ecclésiastique de la Monderie.
3 - La seigneurie de la Sanglère, héritière de celle de Barbechat.
4 - Le toponyme : Sanglère révèle tardivement un sens inespéré.
Nota du Webmaster : dans la mesure où les recherches sur moteurs de recherche risquent fortement de porter sur le Perthuis Churin, il serait dommage de ne pas le citer sur cette page. C'est fait !
Introduction - Visitons et cherchons à comprendre le Pertus-Chuerin
Le vieux bourg médiéval, centre abandonné de la commune de Barbechat, est généralement considéré comme un vestige, une relique de temps reculés et obscurs, le signe d'un échec qui, pour peu qu'on soit superstitieux, pourrait porter malheur.
Cette conception ne peut attirer ni le visiteur, ni même l'attention des gens cultivés puisqu'il n'y aurait pas grand-chose à voir, moins encore à savoir et qu'il vaudrait peut-être mieux se détourner de toute cette obscurité archaïque. Tout curieux et même tout savant un peu sensés iront voir et visiter ailleurs.
Dès lors, si le Pertus-Chuerin n'intéresse personne, pourquoi l'étudier, pourquoi le mettre en valeur, pourquoi l'évoquer dans les livres et les guides, pourquoi attirer l'attention par les panneaux du chemin de randonnée voisin qui évoque davantage la nature, les plantes et les animaux ?
Ce cercle vicieux peut être rompu. Montrons que le Pertus-Chuerin est un grand site historique, parmi les plus intéressants et les plus somptueux du pays, l'un des rares à présenter une occupation continue depuis la conquête gauloise jusqu'à la veille de la Révolution Française et à avoir été fréquenté dès le néolithique. Les sites antiques de Mauves, des Cléons, de la Ségourie, plus connus, ne sont pas dans ce cas.
Le tumulus du Pertus-Chuerin a été fouillé en 1868. Malgré cela il n'existe aucune étude du site. Menons-la. Elucidons ce qu'on sait. Mettons-y de la cohérence, de la logique. Comparons-le aux sites homologues fouillés et mieux connus. Lisons les spécialistes.
Montrons aussi que le Pertus-Chuerin n'est pas du tout « une oasis au creux d'un coteau cultivé » (sic - Pancarte du chemin de randonnée). Cessons de faire injure au savoir, ou alors de confondre poésie et niaiserie.
Renouons le fil cassé de la mémoire. Recueillons-en les lambeaux que les vautours du temps n'ont pas avalé.
Le préjugé techniciste attend tout de la photographie aérienne, de fouilles menées à coup de pelleteuses, de carbone 14 et… de gros budgets. On peut attendre ces moyens aujourd'hui presque réservés à sauver les vestiges que de nouveaux équipements détruisent. Par une étude serrée, une recherche qui marche sur ses deux jambes : l'inventaire des sources historiques et la prospection du terroir, par cette faculté qu'on appelle la pensée et qui est commune à l'humanité, menons des démonstrations, produisons des connaissances cohérentes.
Ces travaux rencontreront probablement le scepticisme habituel de ceux qui ne croient pas que le savoir et la réflexion puissent apporter des connaissances. Ils radotent les conseils convenus et frelatés de bureaux d'études ignares et qui n'étudient rien à fond, pour savoir comment développer le tourisme. Les convaincre est une gageure perdue d'avance. Laissons-les à leur sommeil dogmatique.
Travaillons pour ceux qui croient en la connaissance et cherchent leurs racines. Comme hier à propos du bourg et du terroir de la Chapelle Basse-Mer, à propos de Saint-Simon, de Saint-Pierre-ès-Liens, de Nociogilos, de la forteresse de l'Epine-Gaudin, poursuivons à propos du Pertus-Chuerin, de la Loire et de la Divate, une aventure de l'esprit vivant. Entretenons la mémoire de nos prédécesseurs et rendons à notre patrimoine une part oubliée de son âme.
I - Le toponyme : Pertus-Chuerin
1 - Pertus.
« Perthuis - nom masculin est le déverbal [nom dérivé du verbe] (vers 1140, pertus) de l'ancien verbe pertuiser “faire un trou” (v. 1170) employé jusqu'au début du XVIIe siècle (1611) puis répertorié comme “vieux mot” par les dictionnaires, mais encore vivant dans les dialectes. Ce verbe, peut-être attesté dès la fin du XIe siècle sur une forme pertucar ou pertucer, est issu du latin populaire opertuisare (à l'origine de percer) d'après les formes accentuées de l'indicatif présent (telle la troisième personne opertusiat). Dès le VIIIe siècle, le latin médiéval (Gloses de Reichenau) atteste pertusium, “trou”.
Pertuis (1176-1181) d'abord pertus, parfois pertrus (1180-1190) a désigné couramment un trou, une petite ouverture, un col de montagne (v.1155). Il est sorti de l'usage courant en français classique, s'est maintenu dans les dialectes et ne subsiste que dans des acceptations spécialisées en toponymie et en géographie. Il a désigné aussi un trou servant de passage (1180-1190) pour les eaux dans une montagne, une ouverture dans une digue pour laisser passer les eaux (v. 1350), valeur reprise à propos de l'étranglement d'un fleuve (1857) et, dans l'ouest de la France, du détroit entre une île et le continent (1690). Un emploi technique en serrurerie “garde fixée dans l'intérieur des serrures” (1676) s'est conservée. » (Alain Rey : Dictionnaire historique de la langue française - 1992 - DHLF, p. 1490). De plus, on écrit souvent aujourd'hui : perthuis, probablement par attraction de « huis, entrée, ouverture, d'où porte… qui provient du bas latin : ustium, lui-même issu du latin classique ostium. » (DHLF, p. 980). Ces deux mots latins n'avaient pas de h. Huis en a acquis un et pertuis a suivi le même destin.
2 - Chuerin.
a - « *Car, racine pré-indo-européenne bien connue, mais qui a surtout donné de nombreux toponymes par l'intermédiaire d'appellatifs… » (S. Gendron - L'Origine des noms de lieux de France, p.84).
b - « * Car, “rocher, pierre”, base oronymique [étude des noms de montagne] pré-indo-européenne la mieux connue (*Alessio, Studi Etruschi 1935 ; Dauzat - Toponymie de la France, p. 81) ; char “monticule” (Arly, d'après Magnan et Désormaux). Est représenté par de nombreux noms de montagnes (rocheuses). » (Albert Dauzat et Charles Rostaing : Dictionnaire étymologique des noms de rivières et de montagnes en France - 1978 - , DENRMF, p. 125-6). Suit plus d'une page de ces noms propres parmi lesquels, les plus proches de chuerin sont : Caroux, Cheiron, Chéret, Chiron, Chéron.
c - « Carnac, Morbihan : du celtique et préceltique * Karn-, dérivé du pré-indo-européen *kar - pierre, rocher (celtique : cairn, tas de pierre → tumulus → lieu sacré : breton : Karn, tas de pierres)… » (A. Dauzat : Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France - 1963 - DENLF, p. 149).
d - « Chiron - sens n° 4 - Dans le Poitou et déjà au XIVe siècle, tas de pierres ramassées dans les champs - murger / Grosse pierre affleurant dans les murs/ Gros rognon de silex/ En Anjou, pierre de grès, bloc ou quartier de rocher attenant au sol. » (Marcel Lachiver - Dictionnaire du Monde Rural - 1997 - DMR, p. 458).
On comprend, par ces articles, que ce toponyme d'origine pré-indo-européenne se soit maintenu dans les langues parlées ultérieurement : le gaulois, l'ancien et le moyen français et le français moderne. Rien n'est dit du latin. Chuerin a d'abord qualifié, au Pertus-Chuerin, les falaises naturelles sur les deux rives de la rivière, puis a été remotivé par la nécropole et ses tumuli dont l'abondance locale de pierres a facilité la construction en fournissant ses matériaux sur place et sans effort de transport.
3 - L'écriture de Pertus-Chuerin.
Ecrire un mot, c'est plus exactement le transcrire dans un codage qui ne lui est pas nécessairement approprié. Ce principe est bien connu des linguistes. Le mot : chuerin, d'origine pré-indo-européenne, doit se mouler dans le français moderne écrit. De même, à un moindre degré, le mot : pertus qui appartient à l'ancien français et n'existe plus en français moderne.
La prononciation locale traditionnelle et encore actuelle est : pertuchurin. L'écriture des toponymes ne peut se dissocier de la préservation du patrimoine, et plutôt que de normaliser les toponymes en leur imposant une orthographe, une écriture droite, c'est-à-dire normée, il apparaît plus judicieux d'en garder, à l'écrit, la forme ancienne, surtout quand la langue orale l'emploie spontanément. Nous écrivons donc Pertus-Chuerin.
II - Le toponyme : Barbechat
1 - Les données du XIe siècle.
On a la chance de disposer de deux formes presque identiques du nom de Barbechat au XIe siècle : celle du “Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France” d'Albert Dauzat et celle que rapporte Dom Lobineau.
« Barbechat, Loire-Atlantique (de Barbacati, XIe siècle). Obscur ; peut-être déformation plaisante “barbe du chat” » (DENLF, p. 52). Malheureusement dans ce dictionnaire, la source du nom n'est pas indiquée.
« Guillelmus de Barba Cati I.P. siliginis in arpens de Bastarderia vel in arpens de Bacheloteria. G. de Capella I.P. siliginis in meditaria Charrault. » (Dom Lobineau - Histoire de la Bretagne - Preuves, Tome II, pp. 184-186) cité par R. Secher - Anatomie.. T. II, p.794). Il s'agit d'une charte datée de 1050 de l'abbaye bénédictine de Marmoutier qui a reçu des donations sous forme de redevances.
« Guillaume de Barbe-Chat : Un prévendier de seigle [à prendre] dans la terre de la Bastarderie ou dans la terre de la Bachelotière. G. [Guillaume] de la Chapelle : Un prévendier de seigle [à prendre] dans la métairie de la Charaudière ». Précisons qu'un prévendier est une mesure faite par précaution ou prévention. On situe bien la Charaudière au Nord de la commune de Barbechat, mais on ne sait situer ni la Bastarderie, ni la Bachelotière, ces noms ne semblent plus usités.
Nous avons donc deux leçons pour l'écriture de Barbechat en latin tardif du XIe siècle, l'une en un seul mot, l'autre en deux mots. Albert Dauzat n'explique pas le nom et le trouve “obscur”. Il rapporte l'explication populaire : “barbe du chat” comme une plaisanterie.
2 - L'explication inaboutie du curé Bioret.
Dans la lettre du curé Bioret à son évêque on lit : « La paroisse de Barbechat est une des plus anciennes de votre diocèse. Son nom vient de bar, montagne et bec'h, monceau sur montagne et at est une terminaison donnée à ce mot comme consul, consulat. » (R. Secher - Anatomie, p. 81 et Y-B G : “Divate et Loire” I,2).
Tentons de retrouver cette explication.
« Tête, nom féminin, 1.barros (hauteur) - Mot déduit de noms de personnes et de noms de lieux cités ci-après, comparable au vieil irlandais barr “sommet, pointe”, au gallois cornique bar “sommet”, au breton barr an pen “sommet de la tête”. Blanche-Tête Uendu-barrus (de *Uindo-barros, voir l'irlandais Findbarr), Bonne-Tête Su-barrus, Grosse-Tête com-barro-marus, La Tête Barus, Sacrée (ou Maudite) - Tête Sacro barii génitif, Tête-du-Chien Cuno-barrus, et Nom de lieu La Tête * Barros, devenu Bar-le-Duc, Bar-sur-Aube, etc.
Remonte à une forme * bhrsos, issue de la racine *bhers - qu'on retrouve dans le sanskrit bhrstíh “pointe”, le latin fastigium “faîte”, le vieil-haut-allemand borst “piquant”. » (J.P. Savignac - Dictionnaire Français-Gaulois, DFG, p. 288).
Par contre en gaulois : bec'h est introuvable, tout comme : bec.
Bien entendu, en français, on a bec.
« Bec, nom masculin, 1.beccos… » (Ibid. - p.55). Faut-il comprendre que le gaulois beccos, bec, serait une métaphore, déjà en gaulois, comme il l'est en français moderne pour désigner l'embouchure d'une rivière qui serait la Divate. Mais l'embouchure du Rez-Courant est bien éloignée du lieu-dit autrefois Barbechat qui était proche du lieu-dit le Pertus-Chuerin, voire identique à lui. Il n'est donc pas convaincant de comprendre : Barbechat comme : la tête (sommet) du bec (de la rivière) ou plus simplement : le sommet (proche de) l'embouchure de la rivière, ou pour simplifier le plus possible et traduire littéralement : le sommet du bec.
3 - L'intuition de Reynald Secher.
Après avoir rapporté la légende du Pont-de-l'Ouen (voir en annexe), R. Secher écrit « De là le nom de Barbechat. En réalité, il lui vient d'une fortification en barbacane élevée vers 1050 par le vicomte de Barbechat sur une motte dans le but de défendre le passage de la Divate, nommée le Perthuis Chuerin. » (Anatomie - p. 82).
On sait, par la tradition orale, que cette motte, encore bien visible, et faite de pierres accumulées, réemploie le tumulus gaulois du second Age du Fer, fouillé par Fortuné Parenteau, en 1868.
L'explication de : Barbechat par le mot : barbacane semble simple et lumineuse car lorsqu'on recherche : Barbechat dans n'importe quel dictionnaire usuel, on tombe sur : barbacane (sans parler de barbare et ses dérivés et barbaque et son dérivé barbecue, encore plus proche de Barbechat). Mais R. Secher ne donne aucune explication à son intuition qui a l'avantage de bien décrire l'avancée du tumulus tout au bord de la falaise à pic, à l'extrémité Est du plateau.
4 - L'article : Barbacane du Dictionnaire historique de la langue française (DHLF) d'A. Rey.
« Barbacane (vers 1160) est un emprunt d'origine incertaine,
- peut-être à l'arabe dialectal b-al-baqára, altération de l'arabe classique bãb-al-báquara, “porte pour les vaches”, cet ouvrage protégeant une enceinte intermédiaire entre cette fortification et la muraille principale où les assiégés gardaient leur bétail. Cette étymologie […] n' a pu être confirmée par l'archéologie.
- D'autres y voient un emprunt au persan bãlãhãna “étage supérieur, terrasse sur un toit” en expliquant le passage de - l - au groupe - rb - sous l'influence de barbe, par l'idée de masque.
- On a aussi proposé l'arabe barbah-kãneh “rempart” (d'après l'idée de “galerie servant de rempart devant une porte”) formellement très proche ; mais celui-ci ne peut signifier que “maison (kãneh) à ouverture, à écoulement”, barbah signifiant “évier, tuyau d'aqueduc”. Dans ce dernier sens, attesté en français, le mot vient très probablement du mot arabe signifiant “évier”.
Barbacane est un terme de fortification désignant un ouvrage extérieur, percé de meurtrières et protégeant un point important (pont, passage, porte, route). Par métonymie, il s'applique à la meurtrière pratiquée dans le mur des forteresses. Le second sens en architecture d'“ouverture verticale et étroite dans le mur d'une terrasse pour l'écoulement des eaux” vient probablement de barbah-kãneh (ci-dessus). Les acceptions: “ouverture étroite pour faciliter l'aération entre caves” et “fenêtre très étroite” exploitent aussi l'idée d'ouverture verticale. » (DHLF - p. 179).
5 - Les invraisemblances historiques et pratiques de l'étymologie : barbacane.
Comment un mot d'origine arabe ou persane, et donc aussi exotique, même déjà simplifié en : barbacane peut-il être présent ici en 1050 ? On pourrait penser que c'est un mot rapporté par un seigneur féru de fortifications qui a été marqué par des constructions efficaces vues en Orient à l'occasion d'une croisade. Mais la première croisade ne commence qu'en 1096 et s'achève en 1101, la seconde commence en 1147. Faute d'une croisade à l'heure, il faut supposer un seigneur voyageur, en Andalousie ou en Sicile où les Sarrasins sont présents jusqu'à la conquête normande du second quart du XIe siècle. Un tel voyage et un tel goût des fortifications sont improbables chez des seigneurs qui n'ont guère les moyens de voyager, méprisent le savoir et ignorent la géographie et les langues étrangères.
La première mention écrite de : barbacane date des environs de 1160 et est postérieure aux deux premières croisades, qui ont dû être l'occasion de l'importation de ce mot. Par contre, 1160 est postérieur d'un bon siècle à l'apparition du nom : Barba Cati en 1050 dans la charte de Marmoutier. Il est invraisemblable que le seigneur qui a entrepris cette fortification ait pu avoir un bon siècle d'avance sur son temps et qu'une telle avance passe inaperçue des savants qui, ni Dauzat - on l'a vu - ni manifestement Rey, ne lisent : barbacane dans Barba Cati. Cette lecture fait un seigneur médiéval bien astucieux et des savants modernes qui seraient bien aveugles.
Ce n'est pas tout ; il faut encore supposer que ce seigneur, entrepreneur de la motte avant 1050, ou quelqu'autre à la même époque réussisse à la faire nommer : barbacane par l'entourage de son temps qui, bien entendu, comprenait goutte à ce mot curieux.
Il faut supposer encore que : barbacane devient : Barba Cati très rapidement puisqu'on le trouve sous cette forme latinisée. Si le i s'explique par le génitif latin, le changement du n final de : barbacane en t n'a aucune logique de transformation phonétique spontanée. Il faut donc admettre une attraction par le latin : cattus, chat. Mais on parle déjà le vieux français et non le latin depuis au moins cinq siècles. Que nous disent du mot - chat - les historiens de la langue française ?
« Chat, nom masculin est issu (vers 1175) du latin tardif cattus ou gattus (IVe siècle) lequel a remplacé feles ( félin) et vient probablement d'une langue africaine (le berbère et le nubien ont des termes proches). Le latin paraît à l'origine des noms romans (italien gatto) mais aussi celtiques (anglais cat), germaniques (allemand Katz) et slaves (russe kot).» (DHLF, p. 395). En somme en 1050, le mot : chat n'existe pas encore en ancien français, puisqu'il n'apparaît que vers 1175, plus d'un siècle plus tard. Dans ces conditions, l'attraction de : chat n'est possible qu'en latin, mais non en ancien français.
L'exotisme du mot : barbacane, la croisade qui n'est pas au rendez-vous, le seigneur voyageur, féru d'architecture et important avec succès ce nom étranger, un siècle avant tout autre, des gens qui répètent pour désigner la motte, le mot : barbacane qu'ils ne comprennent pas, une attraction par un mot : chat qui ne sera au rendez-vous que plus d'un siècle plus tard, comment accepter toutes ces invraisemblances et incohérences conjuguées ? La séduisante intuition est une cause perdue dès qu'on la soumet à l'examen. Elle ne serait acceptable qu'en reculant, au moins vers 1200, la construction du château à motte, qui ne pourrait pas alors être mentionné dans la charte de 1050.
6 - La véritable étymologie de : Barbechat.
Faute de succès avec l'exotique : barbacane, revenons aux langues locales.
Si le gaulois : barros tête (hauteur) peut désigner le haut plateau qui domine la Divate, il reste à expliquer le français : bechat et le latin : bacati. Les mots gaulois connus les plus proches de : bacati sont bacco (crochet, p. 110), baccos, bacca (récipient et bateau comme le français : vaisseau - p. 51, 54), bagos (hêtre, p. 174), becos (bec, p. 55) et *becos (abeille, p.35) (Savignac - Dictionnaire Français-Gaulois).
Aucun de ces mots, joints à : barros ne prend de sens motivé par l'endroit. Par contre deux mots voisins l'un de l'autre sont beaucoup plus significatifs : bergo (mont) que visait probablement : bec'h (monceau) du curé Bioret et surtout : briga.
A - « Mont nom masculin, bergo ⎯ bergusia, bergona ⎯ Mot déduit de noms de lieux, Bergo, devenu le mont Berg (Ardèche), Bergantinum, Berganty (Lot), Bergonna, Bergonne(Pas-de-Calais), (théonyme) Bergusiae datif, Bergousia (Ptolémée) Bourgoin (Isère), comparable à l'avestique, bar∂zah “hauteur”, allemand berg “mont”.
Remonte à la racine indo-européenne *bhergh - “haut, éminent”, voir le gaulois briga (→ citadelle), l'illyrien Berginium, le thrace Brigoúle, le grec púrgos “tour, fortification” etc. » (Savignac, DFG, p. 217).
B - « Colline (et citadelle) nom féminin 1- briga - Mot déduit du nom de lieu Briga devenu Brie, (Ad) Mageto-briga (voir César, Bella gallica 1, 31), comparable au vieil irlandais bri, aux gallois cornique et breton bre “colline. C'est à la suite de la première occupation militaire des sites de hauteur que les Celtes (venus de l'est) décidés à imposer leur domination aux peuples conquis que le terme briga a pris le sens de “citadelle”. Blanche-Colline/Citadelle Uindo-briga devenu Vand (o)euvre(s), Citadelle de l'Est Are-brigium, Citadelle-de-l'If Eburo-briga, Avrolles(Yonne), Citadelle-de-l'Ours Arto-briga, Citadelle-de-la-Victoire Boudo-briga, Boppart, Grande-citadelle, Ollo-briga, Olbrück. La fréquence de ce mot dans les noms de lieux espagnols indique là aussi un très ancien phénomène de conquête maintenue par l'implantation de citadelles multiples au milieu d'une population plus ou moins rebelle. Citadelle-de-la-Victoire, Sego-briga, devenu Ségorbe, Forte-Citadelle Nerto-briga etc. - Remonte à l'adjectif indo-européen *bhergh - “haut”, voir le hittite parku- “haut, le grec púrgos “tour”, l'allemand Burg. » (Savignac, DFG, p. 96).
En somme dans Barbechat, la finale - bechat - ne renvoie pas à bergo mont qui pour le curé Bioret signifie : monceau c'est-à-dire plus clairement tumulus, mais à citadelle : briga. Ce dernier mot explique le a final de : Barbechat. Il reste à expliquer la transformation de : barros-briga en : bar-becha. La forme intermédiaire semble avoir été bar-brica. En effet, on trouve : brica dans l'article Brignon (Gard) du Dictionnaire DENLF de Dauzat.
« Une variante *brica du gaulois et pré gaulois briga a donné la Brigue (Alpes-Maritimes) (Brica, 1002) .» (DENLF, p. 116). Autrement dit, dès l'Antiquité, briga à dû prendre la forme : brica qui a permis quand on parlait encore latin, avant le VIe siècle, l'attraction par le latin : cattus qui donne, après 1175, le français : chat, comme on l'a vu. Ceci conduit à : Bar-bricha.
De plus dans son article Briançon, Dauzat écrit : « Briançon, chef-lieu d'arrondissement des Hautes-Alpes (Brigantion [Strabon], Brigantium [Vases apollinaires], Brigantione, IVe siècle [Table de Peutinger] : d'un thème gaulois et pré-gaulois (ici ligure) briga… » (DENLF, p. 115). Briançon se trouve en effet dans les frontières géographiques de la langue ligure, ce qui n'est pas le cas de Barbechat. (Sur la langue ligure : Bernard Sergent : Les Indo-Européens, histoire, langue, mythes, p. 72,76).
D'autre part le sens A : barros-bergo est une étymologie possible, mais il n'explique pas la terminaison ca puis chat et son sens : hauteur - mont est redondant et illogique. Les redondances sont fréquentes en toponymie mais elles sont composées de mots appartenant à des langues différentes comme : Voie-manteau, où le gaulois : mantalon signifie : chemin, ou bien l'Epine-Gaudin, où le germanique : gaut, wald signifie : petit-bois, donc épine.
Par contre, le sens B : briga explique la terminaison ca puis chat. Il est aussi beaucoup plus intéressant que “tumulus sur mont ou lieu élevé” auquel parvenait Bioret, bien qu'il ne l'ait pas formulé ainsi et qui ne nous apprend rien, mais ne fait que confirmer le constat d'un tumulus sur le plateau au-dessus de la vallée.
Finalement : “citadelle de la hauteur” apporte l'information nouvelle selon laquelle Barbechat désigne un oppidum ou un castellum.
III - Situation et nature des monuments du Pertus-Chuerin
1 - Le site est fréquenté et probablement habité, au moins depuis l'époque néolithique (4000 avant J-C). La preuve en est fournie par l'abondance de haches en pierre polie qu'on y a trouvé. Des cultivateurs du site ont pu s'en constituer une collection. La mairie de Barbechat en possède également une.
2 - Le tumulus est le plus ancien monument connu du site du Pertus-Chuerin. Les étapes de sa construction nous échappent dans leur détail. Elles ne semblent pas avoir été étudiées par la fouille de 1868. Surtout, ce tumulus a servi de soubassement à une motte féodale qui l'a surélevé et recouvert, sauf peut-être du côté de la rivière. Il a ainsi été protégé et mieux conservé, mais aussi dissimulé aux regards.
« Tumulus, nom masculin est un emprunt tardif (1811, Chateaubriand) au latin tumulus. Celui-ci désigne une éminence, une hauteur naturelle ou artificielle et en particulier le monticule recouvrant un cadavre, puis la tombe elle-même. Tumulus, souvent associé par les Anciens à cumulus (→ cumul), se rattache à la racine indo-européenne otu-bh- exprimant un gonflement (→ Tombe, tuméfier, tumeur).
Tumulus désigne en archéologie un amas de pierre ou de terre élevé au-dessus d'une tombe, notamment dans les civilisations protohistoriques. » (DHLF, p. 2186).
3 - Le nom de Barbechat qui semblait qualifier la fortification en barbacane de cette motte, signifie, on l'a vu, la citadelle de la hauteur (barros-briga) en gaulois, puis désigne par extension la paroisse indépendante jusqu'en 1520 au plus tard, puis un des trois cantons de celle de la Chapelle Basse-Mer, enfin depuis 1868, la commune actuelle.
4 - Cette fortification de l'ancien tumulus s'avançait vers l'extérieur du plateau. Selon les usages de défense du haut Moyen-Age, en arrière de la motte, sur le plateau, se trouvait la basse-cour du château à motte, comportant les logements de la garnison. L'ensemble devait être entouré d'un fossé. La terre qui en avait été extraite formait un talus servant d'enclos à la basse-cour et portant une haie de pieux enfoncés sur son sommet. Depuis longtemps rien n'en subsiste en élévation puisque ce talus n'est mentionné dans aucun texte, ce qui est la situation la plus répandue pour ce genre de fortification. Ce château à motte laisse au Bordage un puits creusé dans le roc, condamné d'une dalle et qui ne semble pas avoir été fouillé.
5 - L'église, dont ne subsistent que le mur de façade et les fondations des murs latéraux ruinés, était dédiée à Sainte Magdeleine. Construite en pierre sur le roc au Sud-Est du tumulus, elle a pu être d'abord celle du château à motte, incluse dans son enceinte disparue.
6 - Au Sud de cette église, on voit la base des murs du presbytère.
7 - Au Sud-Ouest de l'église, le sommet de la croupe voisine présente une forme circulaire en mamelon qui interroge. Plus à l'Est, un mur sépare l'emplacement du cimetière, aujourd'hui planté de châtaigniers, régulièrement taillés à ras de terre, du chemin qui mène aux Frêches et à la Petite-Graolière. Ce cimetière « sis à deux ou trois cents pas de ladite église (n'est) entouré que de haies de fossés dans lesquels nous avons remarqué quelques passages [allées] et que la croix qui est au milieu d'iceluy est renversée. » (Dom Antoine Binet - compte-rendu de l'enquête “commodo et incommodo” de 1683 en vue de la translation de l'église). Ce compte-rendu précise que la chapelle date du XIIIe siècle (R. Secher - Anatomie…, p. 152). Près du cimetière, à l'Ouest du chemin d'accès depuis le Bois-Guillet, se trouve une grande mare, marquant la limite de l'ancien bourg.
8 - En 1769 (Ibid. p.152) cette église Sainte-Magdeleine est désaffectée et le culte transporté au Bois-Guillet, village principal, aujourd'hui nommé Barbechat, pour le rapprocher des habitants et du centre (Ibid. p. 153) de son canton, alors l'une des trois subdivisions, avec la Vallée et les Champs, de la paroisse de la Chapelle Basse-Mer. On construit une église au Bois-Guillet aussitôt après la décision de translation. Elle « ne souffrit pas de la Révolution » mais fut « détruite en 1886 et aucune trace archéologique ne subsiste de nos jours. » (Ibid. p. 161). L'église actuelle du Bois-Guillet la remplace.
9 - Sur la Divate, en contrebas du tumulus, le moulin à eau se nomme le moulin à Boumard. Ce nom se décompose en bout (v.1121) et mare (v. 1175). C'est donc le moulin de la mare du bout du quartier bas. La mare est l'étang dû à la chaussée qui franchit la Divate. Cette chaussée est antérieure au moulin : puisque le moulin a pris le nom de la mare du bout, il fallait que la mare et donc la chaussée, préexistent au moulin. Le sens de : moulin du meunier nommé Boumard est une remotivation imaginaire. Le moulin en ruine ne semble guère antérieur au XIXe siècle, mais il a pu être reconstruit. Le chemin de rive passe entre le moulin et une rangée de maisons ruinées, adossées à la paroi rocheuse verticale. Ces vestiges de la partie basse du village devaient déjà être délaissés, à l'exception du moulin, lors de la translation de l'église, en 1769. D'autres ruines en voie d'effacement se trouvent au-delà du confluent de la Divate et du ruisseau d'amont du Pertus-Chuerin que le chemin de rive franchit par un gué. Là, le vallon gagne en ampleur à cause de cette confluence. Des murs de soutènement et surtout des ruptures de pente plus ou moins effacées trahissent encore un aménagement en terrasses basses, longeant la Divate.
10 - Au dessus du chemin de rive, le coteau très abrupt d'une quarantaine de mètres sépare cette partie basse du Pertus-Chuerin de sa partie haute. Seul les rejoint un sentier de fortune très pentu et glissant qui franchit un mur ruiné, probable vestige d'une petite fortification. Ce passage était nécessairement aménagé, lorsque le Pertus-Chuerin était habité, par un escalier ou une rampe d'accès, à moins que ces fortifications aient obligé au long détour par la vallée de la Divate et le chemin actuel d'accès à l'église.
11 - Deux grottes s'enfoncent de quelques mètres dans le roc au-dessous du tumulus, l'une entre les maisons ruinées du chemin de rive, l'autre à mi-hauteur du rocher. Cette dernière est la plus impressionnante à cause d'une veine de rocher dur en forme d'arc qui longe son entrée et forme son plafond. Le curé Bioret rêvait sans doute qu'elle ait abrité quelque uates ou devins gaulois lors des assemblées qu'il décrit (voir : Y-B G : Divate et Loire, I,2). Une légende la déclare habitée par quelques disciples d'un démon (voir IV,1).
12 - Les chemins actuels conservent ceux de l'ancien bourg car ils relient la chapelle, le cimetière, la grande mare (voir 7), et fournissent les accès au bourg, celui du Bois-Guillet et celui des Frêches qui longe le cimetière par l'Ouest. Ils se rejoignent au placis qui sert aujourd'hui de stationnement et d'où part le chemin qui conduit à la Chapelle. Ce chemin reprend le tracé de la rue principale de l'ancien bourg, au moins dans son état le plus tardif.
13 - Puits, réservoirs et chemin creux en périphérie du plateau du Pertus-Chuerin.
Signalons des éléments qui ne se trouvent pas sur le plateau lui-même, mais à sa périphérie, dans les vallées encaissées qui le circonscrivent.
a - Au Sud du plateau, en rive gauche de l'affluent d'amont du plateau (voir V, 3 et 4), dans un val latéral peu marqué, on trouve côte à côte un puits, une citerne taillée dans le roc et adossée au plateau, vestiges probables d'une habitation disparue.
b - Au Nord du plateau, en rive gauche de l'affluent d'aval du plateau, aujourd'hui aménagé en chemin de randonnée, on trouve, en haut du coteau, une citerne taillée dans le roc.
En complément des puits d'eau potable, ces citernes qu'on ne sait dater, fournissaient toute l'eau nécessaire sur le plateau, aux besoins des hommes, des animaux domestiques, et à l'occasion, des cultures et à l'extinction des incendies. Quant elles font défaut, c'est à la rivière qu'il faut aller chercher l'eau.
c - Près des maisons récentes mais ruinées des Frêches, un chemin creux, à l'Ouest de ces ruines, est très exceptionnel : le lit rocheux très encaissé du ruisseau minuscule a été taillé en escalier irrégulier, aux marches encore identifiables malgré leur usure, pour relier le plateau à son ruisseau d'aval.
Tous ces éléments montrent que le plateau et ses abords ont été travaillés et occupés par une population plus dense que celle qui y vit aujourd'hui.
N.B. Les éléments qui viennent d'être décrits sont visibles et plus ou moins connus. Ce sont soit des caractères naturels du site, comme le coteau ou les grottes, soit des vestiges identifiables comme les ruines du moulin.
D'autres éléments sont plus difficiles à déceler et plus encore à identifier car on peut les confondre avec le sol ou avec le relief naturel. Certains sont éloignés de la chapelle Sainte-Magdeleine et du tumulus et ne semblent ni identifiés, ni étudiés. Jusqu'ici, ils n'avaient pas été mis en relation avec le site pour concourir à sa compréhension. Nous les aborderons plus loin.
IV - Légendes et chronique sur Barbechat
1 - La légende du Pont-de-l'Ouen cite Barbechat comme le lieu où le diable lui-même aurait rattrapé le chat qu'il avait pris pour l'âme de Saint Martin de Vertou et qu'il tenait par la barbe, d'où Barbe-chat. Il aurait ainsi été berné par le Saint qui avait lâché ce chat de sa manche sur le Pont-de-l'Ouen, construit par le Diable contre la promesse de la première âme qui franchirait le pont.
Au-delà de l'étrange marché de dupes du Saint et du Diable qui relève du merveilleux, la légende, comme toute légende, trahit un contexte. Elle fait du Diable le symbole du paganisme et de Barbechat son fief à cause de cette tombe païenne qu'est le tumulus. Par parenthèses, une autre légende l'attribue aux Romains et le désigne comme la tombe « d'Ima ou Irma, femme d'un des lieutenants de Jules César, qui serait décédée à cet endroit. » (R Secher Anatomie…, p. 82). Remarquons qu'Ima signifie clairement image, fantôme, en somme Imagination.
Si Martin ne peut passer le marais de Goulaine à l'Est de Vertou, ce n'est pas seulement parce que la voie romaine ou gallo-romaine n'est pas achevée et qu'il y manque ce Pont-de-l'Ouen ⎯ on peut alors dater le premier pont du milieu de VIe siècle (Emile Bonneau - Le Loroux-Bottereau et son histoire, p. 40, l'attribue à Saint-Martin) et pourquoi pas la voie romaine elle-même ? ⎯ La raison surtout est que le pays résiste. Cette résistance n'est pas fondamentalement religieuse, mais territoriale et politique. Entre 552 et 555, Martin est envoyé par Saint Félix, l'entreprenant évêque de Nantes qui cherche à convertir le Sud de la Loire, alors en Aquitaine, dans une logique d'influence de Félix et de l'Eglise de Nantes, lui-même étant issu d'une famille sénatoriale d'Aquitaine. Le Sud de la Loire résiste d'autant plus que Chramne constitue alors son royaume en Aquitaine et que Félix est son adversaire politique. Martin risque sa vie. Il quitte Nantes en 555 pour la Normandie et ne fondera l'abbaye de Vertou qu'en 575 après dix ans en ermite dans la “forêt du Menne”, probablement celle de Touffou sur la rivière La Maine. (Michel Kervarec - Terroir et Moyen-Age au Pays nantais, p. 50).
Barbechat est près de cette voie romaine de Vertou à Champtoceaux par le Pont-de-l'Ouen, le Loroux-Bottereau et le Pont-Trubert. Martin l'aurait-il empruntée? Avait-il cherché à convertir les habitants de Barbechat ?
Dans le même ordre d'idées, que signifie la dédicace de l'église à Sainte Magdeleine, patronne des pécheurs repentis ; est-elle ici celle des païens repentis ? On peut éclairer la légende. On ne peut en tirer un savoir positif , ni sur l'origine de Barbechat, ni sur la conversion de certains habitants.
2 - La chronique du Patrimoine des Communes de Loire-Atlantique (Edition Flohic - janvier 1999, p. 523).
« Le premier village remonte probablement à l'an 777, date à laquelle il y aurait eu une église paroissiale. C'est le fondateur de la ville de Chateauceaux, Toimeldus Twingen qui en est le seigneur vers 990. Dans un acte de 1050 [du cartulaire de l'abbaye de Marmoutier, précisons-nous] il est signalé une seigneurie de Barbechat et un certain Guielmus de Barbechat, résidant au Bois-Guillet. En 1653, le village [en réalité, avant 1520, la paroisse, rectifions-nous] est rattachée à [la paroisse de, précisons-nous] la Chapelle Basse-Mer, mais dès 1777, les habitants obtiennent leur séparation. Il devient par décret impérial, une commune autonome en 1868 ».
La date de 777 sort du néant faute de la moindre référence ni de la moindre explication. Il en va de même pour celle de 990. La suite n'est pas plus justifiée. On y trouve une erreur nette.
Cet ouvrage ne se livre pas à la moindre réflexion critique. Il a été fait en interrogeant seulement les bonnes volontés, et résume toute l'histoire en dix lignes. L'histoire n'est pas une éphéméride anecdotique, où il n'y aurait pas besoin d'effort pour tout comprendre. Peut-être ce style s'appelle-t-il plutôt chronique, ou alors journalisme. On y raconte ce qu'on veut ou ce qu'on croit que d'autres peuvent savoir, sans égard ni à la vérité ni à l'esprit critique. Est-on bien éloigné de la légende précédente qui, au moins faisait un peu sourire ?
V - Le Pertus-Chuerin gaulois (Second Age du Fer ou la Tène ; 500-0 avant J-C)
La diversité des vestiges du Pertus-Chuerin, leur complexité et leurs multiples époques de construction amènent bien des questions, dont les plus essentielles semblent celles-ci, si on accorde à Fortuné Parenteau, qui a fouillé le tumulus, la date du second Age du Fer, entre 500 avant J-C et la conquête romaine de 58-51 avant J-C, ce qui malgré l'imprécision, fournit une base de raisonnement.
a - Comment le site a-t-il été construit dès le second Age du Fer, par les gaulois qui sont les constructeurs du tumulus. L'ont-ils habité ou leur village ou leurs fermes isolées étaient-ils ailleurs ?
b - Y a-t-il eu continuité de peuplement entre le second Age du Fer et le haut Moyen-Age qui transforme le tumulus en motte féodale ? Cette question laisse de côté les parenthèses historiques, si l'on peut dire, où le pays était inhabitable du fait d'invasions, notamment celle des Saxons, de la fin du IIIe siècle au milieu du Ve siècle par intermittence, puis des Normands Vikings entre 843 et 936 par intermittence également.
Bien entendu, il ne faut pas attendre la découverte de textes anciens inconnus aujourd'hui qui répondraient à ces questions abstraites. Non seulement les cartulaires sont déjà “labourés”, mais seule l'étude des usages habituels des Celtes peut répondre à la première question et seule l'étude de la continuité du peuplement et du mode de vie peut, sinon répondre, du moins éclairer la seconde. L'archéologie du site pourrait apporter des éléments de réponse, mais on n'entreprend pas de fouilles sans une estimation préalable de la probabilité de découvertes.
1 - Le chemin de rive de la Divate.
Avant la conquête romaine de la Gaule (58-51 avant J-C), la voie gallo-romaine du Loroux-Bottereau à Champtoceaux, par le sommet du plateau, la Strée et le Colin, n'existait pas. La voie principale de la circulation locale est alors la Divate et son chemin de rive. « Dans le monde celtique, […] il apparaît clairement que le réseau s'appuyait en grande partie sur les voies naturelles, fleuves, vallées, passages de col. » (Stephan Fichtl : La Ville celtique, p. 134). Strabon (IV- 1, 14) se basant sur Posidonius soulignent bien l'importance des voies fluviales en Gaule.
Ce chemin de rive relie la Loire et le plateau par la Divate et chacun de ses affluents, comme par exemple au Pont-Trubert par le ruisseau de la Javelière que la voie romaine reprendra plus tard, ou encore par les deux affluents de la Divate, en amont et en aval du plateau du Pertus-Chuerin. Comme chemin, les rivières elles-mêmes ont plusieurs avantages : elles sont solides au pas ou à la roue car la rivière dégage de son lit la terre et les matières molles et offre toujours un fond solide, rocheux ou caillouteux. Elles sont aussi presque planes et, sur de longues distances, s'élèvent insensiblement vers la ligne de partage des eaux, et offrent le chemin le plus aisé. Partout les rivières ont été les premiers chemins. Les chemins de rive n'en sont qu'une translation dérivée, plus confortable en mettant les pieds au sec, mais impraticables quand les alluvions qui les forment redeviennent humides ou boueuses, ce qui n'est que le retour à leur premier état qui a permis leur transport et leur dépôt par le courant en ses hautes eaux.
Le premier mot : pertus du toponyme Pertus-Chuerin ne désigne ici rien d'autre que ce trou dans le roc de gneiss qui laisse passer la rivière et par conséquent le passage qu'elle offre et que complète son chemin de rive.
2 - Le Pertus-Chuerin, confluent aménagé.
Le Pertus-Chuerin est un espace de confluence du ruisseau d'amont du plateau avec la Divate. C'est un espace presque plat et beaucoup aménagé au long du chemin de rive gauche qui le traverse et domine la rivière grâce à un remblai maintenu par un mur de soutènement en bord de rivière. Ce remblai et ce mur ne sont interrompus que par l'affluent qu'on passe à gué. Les aménagements montrent aussi de nombreux vestiges de murs de constructions. Le moulin est le vestige le plus facile à identifier par ses murs qui conservent presque toute leur élévation, par son bief amenant l'eau à sa roue motrice et par sa levée qui forme gué à travers la Divate. De l'autre côté du chemin de rive, adossées au rocher vertical, s'alignent les ruines de maisons ou de dépendances où l'on compte six petites pièces successives.
Le moulin peut dater du début du XIXe siècle, mais avoir été reconstruit sur place. Les maisons plus ruinées semblent plus anciennes.
Derrière ces maisons, le coteau de la rive gauche est infranchissable à cause de la falaise rocheuse d'une dizaine de mètres de haut sur une cinquantaine de long. De même dans le proche amont, sur la rive droite, en contrebas du château de la Braudière construit en 1862 par M. de Lusançay (R. Chéné, article la Divate), une falaise rocheuse spectaculaire d'une trentaine de mètres de haut forme un verrou à tout passage par la rive, d'autant plus que la rivière y forme l'habituelle fosse qui en lave le pied. Le passage de la rivière entre ces deux falaises est précisément dénommé ici : pertus. Remarquons que les deux sites habités à l'époque gauloise que sont le Loroux-Bottereau et le Pertus-Chuerin se trouvent sur la même couche géologique de gneiss très dur, le gneiss anatectique à biotite, dit gneiss du Loroux-Bottereau. Cette dureté a facilité la conservation du tumulus gaulois.
3 - Le plateau du Pertus-Chuerin.
Le plateau du Pertus-Chuerin domine la Divate d'une quarantaine de mètres, rendant son accès difficile par la pente très raide de l'affluent d'amont au Sud-Est et l'interdisant par la falaise rocheuse de la rivière elle-même, au Nord-Est. L'affluent d'aval offre une pente plus accessible au Nord-Ouest qu'emprunte aujourd'hui la seule route d'accès. Seul le côté Sud-Ouest du rectangle reste ouvert sur environ 500 mètres. Le plateau ainsi bordé, que les géographes appellent un éperon, reste facile à fermer ou à barrer de ce dernier côté.
Cet éperon exposé au Sud et au Sud-Ouest profite du meilleur ensoleillement et est protégé des vents dominants d'Ouest par les hauteurs où passe la voie romaine. Il est donc très hospitalier. Le tumulus gaulois de la Tène suggère l'hypothèse qu'il était alors habité.
4 - L'éperon du Pertus-Chuerin est comparable à un oppidum.
L'Evre est comme la Divate un affluent de rive gauche de la Loire. Elle traverse les Mauges de Vezins au Sud au Marillais au Nord, à une vingtaine de kilomètres à l'Est de la Divate. Sur l'Evre, au Fief-Sauvin on trouve l'oppidum de la Ségourie, autrefois Segora, dans un site comparable à l'éperon du Pertus-Chuerin, le même agencement des cours d'eau encaissés, à l'exception de l'affluent d'aval qui n'est pas accentué, la même exposition au Sud, le même abri des vents dominants.
A la Ségourie, le Nord-Est de l'éperon est fermé par un “mur gaulois” impressionnant, long d'une centaine de mètres et haut d'une dizaine dans sa plus grande hauteur actuelle. Ce genre de “mur gaulois” est décrit par César dans “La Guerre des Gaules”. On a recueilli à la Ségourie des clous de fer longs d'une trentaine de centimètres employés dans la construction de ce mur (voir annexe).
Egalement sur l'Evre, « l'éperon rocheux de Montrevault, ce site exceptionnel, était prédestiné à recevoir un château qui succédait à un ancien oppidum. » (Teddy Véron - L'intégration des Mauges à l'Anjou au XIe siècle, p. 94). « Montjean (Montis Johannis) est certainement le nom d'un château bâti au XIe siècle sur un ancien oppidum du territoire de la Pommeraye) (Pomereia). » (Ibidem - p. 113).
Alet (Côtes du Nord), près de Saint-Malo, Rochecorbon (Indre-et-Loire) au château du Chevrier, Josselin (Morbihan) au camp de Lescouais, Mervent (Vendée) au Chêne-Tord figurent au “Corpus” des 174 oppida de Stephan Fichtl - (“La Ville Celtique”, p. 203).
5 - Le tumulus du Pertus-Chuerin est le vestige d'une nécropole.
Bien analysé, le tumulus donne la clé de l'organisation de l'éperon du Pertus-Chuerin à l'époque de la Tène.
Sa fouille, en 1868, par Fortuné Parenteau, conservateur du musée départemental Dobrée de Nantes, chance considérable pour l'histoire et le patrimoine locaux, mais avec laquelle tout l'effort de connaissance de ce site semble s'être arrêté, a révélé « cinq couches successives de cendres et d'incinérations dont la plus élevée a fourni un débris de mâchoire humaine… Les autres couches ont fourni quelques débris de poterie, de nombreux ossements d'hommes et d'animaux. Ce tumulus a été reconnu à l'époque comme appartenant à l'âge du fer secondaire, et tout le matériel est purement gaulois, même s'il est contemporain de la conquête romaine. » (R.Secher Anatomie…, p. 83).
La connaissance que nous avons aujourd'hui des lieux de sacrifices par le feu est sans commune mesure avec celle de 1868 (voir annexe : Les sanctuaires gaulois). La fouille a découvert un lieu de sacrifices, probablement utilisé et interrompu à plusieurs reprises sur une longue durée. Les débris de poteries et d'ossements sont ceux d'offrandes qu'on brisait et qu'on incinérait pour qu'ils rejoignent les divinités. Ce lieu de sacrifices a été par la suite considéré comme un tombeau, ou un tombeau s'y est superposé, expliquant le fragment de mâchoire humaine, l'interprétation des données restant ambiguë. Ce tombeau est marqué par le tumulus, monument funéraire qui selon sa taille indiquait le statut social du défunt, ou de plusieurs défunts.
La Tène et Hallstatt sont les noms de deux sites fouillés dès le XIXe siècle appartenant à deux stades successifs de la civilisation celtique. La Tène ou second Age du Fer (500-0 avant J-C) a été divisée en Tène I (500-300), Tène II (300-100) et Tène III (100-0) par Joseph Déchelette au XIXe siècle. Elle fait suite à Hallstatt (750-500 avant J-C) ou premier Age du Fer, qui succède à l'Age du Bronze (1400-750 avant J-C). Ces chronologies utilisées en France ne sont pas celles qu'on utilise en Allemagne.
De plus, les nécropoles gauloises récemment fouillées ne présentent pas un tumulus isolé mais un ensemble de tumuli de même que nos cimetières actuels présentent un grand nombre de tombeaux.
« C'est par dizaine de milliers que se comptent aujourd'hui les sépultures de l'âge du Fer européen. Dans des zones rurales où l'agriculture ne les a pas détruits, les tertres funéraires, les tumulus, ou de simples tombes creusées dans le substrat, qu'on appelle “tombes plates”, sont parfois conservées à plusieurs centaines d'exemplaires sur une seule commune. Des milliers de sépultures ont été fouillées par exemple en Champagne dès le XIXe siècle, permettant de fonder au moins la chronologie à partir de leur mobilier. Les conditions de fouilles qui trop souvent se réduisaient à extraire des objets métalliques pour les collectionneurs, puis les destructions de la Première Guerre Mondiale, limitent la portée de ces découvertes. Réinterprété par des méthodes modernes d'analyse et complété par de véritables fouilles le corpus des sépultures nous fournit maintenant de nombreux renseignements sur la société celtique.
Un ensemble de tertres funéraires conservés à Litzendorf-Naisa dans la forêt de Greisberg en Franconie, au nord de la Bavière est représentatif d'une situation qui a dû être assez courante au premier et au début du second âge du Fer. Un groupe de 32 tertres de 8 à 25 mètres de diamètre est réparti sur 2 hectares, les plus gros occupant une position centrale. Les fouilles du XIXe siècle ont déjà révélé une occupation qui se déroule du Bronze moyen au début de la période de la Tène. Un second groupe partiellement détruit 700 mètres plus à l'est compte encore 33 tertres de différentes tailles. La fouille de plusieurs d'entre eux a révélé une sépulture centrale hallstattienne et des tombes adventices de La Tène. Dans cette région, l'incinération des corps domine au Hallstatt ancien, ensuite il s'agit d'inhumations. » … « Les nécropoles sont souvent proches d'une voie ou même d'un carrefour. » (Olivier Buchsenschutz - Les Celtes, p. 186).
Cette citation résume les recherches récentes et décrit un site banal, “courant” qui fournit un contexte, un environnement qu'il faut se garder de transposer ailleurs, à une exception près qui paraît une évidence : à l'époque de la Tène, le tumulus du Pertus-Chuerin n'était certainement pas unique dans son site.
6 - Position du tumulus et de la nécropole sur le plateau du Pertus-Chuerin.
« Jusqu'à ces dernières années, nous ne connaissions pas de nécropoles associées à un oppidum de la Tène finale. Deux fouilles récentes [mai 2005] sur deux oppida déjà bien étudiés permettent de proposer un premier modèle : ce sont les oppida du Mont-Beuvray et du Titelberg. Les fouilles de la nécropole du Rebout au Mont-Beuvray [Bibracte, Nièvre] et de Lamadeleine au Titelberg [Luxembourg] montrent que l'emplacement du monde des morts ne se différencie pas notablement de ce qu'il est dans le reste du monde antique…
Ce qui paraît […] particulièrement intéressant, c'est la situation même de la nécropole en rapport avec le site. Elle est située au débouché de la porte occidentale de l'oppidum le long de la voie d'accès au site…
Les nécropoles de Lamadeleine et de la Croix du Rebout sont non seulement à l'extérieur de l'enceinte, mais aussi liées directement aux portes. Tant au Titelberg qu'au Mont-Beuvray, elles sont situées le long des voies provenant directement des portes importantes. » (S. Fichtl - La Ville Celtique, p. 163-165).
Le modèle d'organisation dégagé ici n'a rien d'extraordinaire puisqu'il est celui du monde « antique » gaulois, grec et romain. Il paraît donc normal et légitime de le transposer au Pertus-Chuerin. Il amène à conclure ceci.
a - Le tumulus du Pertus-Chuerin en tant que vestige d'une nécropole est situé à l' « extérieur de la limite maximale du site » c'est-à-dire à l'extérieur de l'éperon. C'est bien ce qu'on constate puisqu'il ne se trouve pas sur la surface plane du plateau ou éperon, mais sur la pente du coteau.
b - Ce tumulus était situé devant la porte ou l'une des portes du site. Il en résulte que cette entrée était accessible depuis la vallée de la Divate. La raideur du coteau oblige à faire l'hypothèse au moins d'un escalier, et au mieux d'une rampe d'accès dans le val de l'affluent d'amont qui s'élevait au flanc de son coteau pour parvenir à cette porte au Sud-Est du tumulus. Par contre, il est invraisemblable de supposer cette porte au Nord-Est du tumulus à cause de la falaise verticale qui borde la Divate de ce côté.
c - Enfin, les tumuli qui accompagnaient celui qui subsiste pour former avec lui la nécropole, se situaient nécessairement à ses côtés sur le rebord du plateau, à l'emplacement de la maison actuelle du Bordage et sur la pente raide, le long de l'escalier ou de la rampe d'accès qu'on vient d'évoquer. La forme circulaire du sommet de la croupe voisine, dont nous avons dit qu'elle interroge (voir III, 7) peut être le vestige d'un grand tumulus soit gaulois, soit encore plus ancien. (voir ci-après, 8). Cet espace du plateau a été utilisé au XIe siècle comme basse-cour du château à motte, ce qui explique sa destruction pour réaliser cette basse-cour.
De plus, S. Fichtl parle d'“enceintes” et de “portes” présentes autour des oppida qu'il étudie. Il ne subsiste pas de trace visible d'une enceinte au Pertus-Chuerin. Par contre, l'accès de l'éperon par la Divate se faisait nécessairement par un aménagement au Sud du tumulus et de la nécropole et proche d'eux qu'on peut bien qualifier de porte.
7 - Formes et dimensions du site gaulois.
Nous avons vu que le site gaulois du Pertus-Chuerin occupe un éperon dominant la Divate et ses affluents, l'un en amont, l'autre en aval du site. Depuis la Divate, l'entrée du site est marquée par la nécropole dont ne subsiste qu'un seul tumulus qui a été fouillé.
Mais, le site gaulois occupait-il la totalité de l'éperon ? Plus précisément, la Divate au Nord-Est et ses deux affluents à l'Ouest et à l'Est du site forment les limites maximales, parce que naturelles, du site, mais il reste à comprendre comment le site était limité au Sud-Ouest où l'éperon est en continuité avec le plateau.
Un endroit s'impose pour fermer l'éperon, c'est un rétrécissement formé de deux courts vallons en vis-à-vis qui prennent le plateau en tenaille. Ces deux vallons, longs d'une centaine de mètres chacun et très pentus sont des affluents des ruisseaux d'amont et d'aval du site, eux-mêmes affluents de la Divate. Cette tenaille marque le chemin du Pertus-Chuerin aux Frêches. Il fait un double virage, trois cent mètres avant les Frêches, et se déporte vers l'Est pour franchir l'extrémité de la pince Nord-Ouest de la tenaille.
A vrai dire, celle-ci est si nette et si bien ajustée, ses deux pinces se font si bien face qu'elle invite à se demander si les deux vallons qui constituent ces pinces, sont des formations naturelles ou, au contraire, les deux extrémités d'un fossé profond, ayant barré le plateau et limité l'éperon, mais aujourd'hui comblé dans sa partie centrale et dont seules subsistent les extrémités sous la forme de ces deux vallons.
D'autre part, on peut douter que le site gaulois ait inclus la pointe Nord de l'éperon qui domine le confluent de la Divate et de son affluent d'aval. C'est l'Ouest de cette pointe qu'emprunte la route d'accès au site depuis le Bois-Guillet, l'actuel village de Barbechat. Cette pointe présente deux caractères qui la distinguent du reste du plateau. Elle est moins élevée d'une dizaine de mètres et elle en est séparée par un fort talus bien adapté à porter une enceinte. Il est vrai que cette enceinte a tout aussi bien pu, placée à cet endroit, être celle du château à motte du XIe siècle.
Au total, le site gaulois a la forme approximative d'un rectangle de 500 mètres de large, bordé au Nord par la Divate, limité au Sud par la tenaille des deux vallons, et de 1000 mètres de long, bordé par les deux affluents de la Divate à l'Est et à l'Ouest, soit 50 hectares.
8 - Oppidum et castellum.
« A la Tène finale, à côté des oppida, nous trouvons d'autre types d'habitat. César, à plusieurs reprises, mentionne une hiérarchie entre les sites. Trois termes reviennent fréquemment, soit isolés, soit ensemble : aedificium, vicus, oppidum. Ces trois termes sont traduits généralement par ferme, village et ville. Pourtant la réalité est plus complexe. Par ailleurs, César et Tite-Live nous parlent de castella, pour la Cisalpine et pour la Gaule. L'archéologie pour sa part confirme cette diversité, même s'il est toujours risqué d'apposer un terme antique à une réalité archéologique. » (S. Fichtl - La Ville Celtique, p. 166).
« A la Tène moyenne et finale, il y a dans le monde celtique de nombreux petits sites fortifiés qui ne peuvent pas être définis comme oppidum. Ce sont des sites d'une taille modeste, généralement inférieure à 10 ha, mais qui souvent ne dépassent pas un ou deux hectares. Quelles sont les fonctions assumées par ces sites, dont le rôle ne peut pas être le même que celui des oppida ? […]
Le terme de castellum apparaît […] dans la littérature antique avant tout comme un site de taille modeste, soit opposé à un oppidum, site de taille plus importante, soit lié à un vicus, un site de taille similaire mais situé en plaine. Il est utilisé dans le contexte militaire romain comme une petite fortification, mais peut également correspondre à un village perché. » (Ibid, p. 166-167).
En somme, les dénominations qui se proposent pour l'éperon du Pertus-Chuerin sont celles d'oppidum et de castellum. La surface importante de l'éperon fait préférer l'oppidum. Dans ce cas on attend une enceinte dont on a l'indication par le toponyme la Sanglère (voir VIII, 4) et le tracé par le bord de l'éperon, le talus Nord et le fossé Sud-Ouest.
Précisons enfin qu'un oppidum ne se réduit pas à une ville fortifiée, mais répond à des exigences symboliques essentielles d'ordre politique, comme centre d'un peuple, et religieux, comme centre culturel sacré près duquel on place les nécropoles C'est pourquoi l'espace de l'oppidum est circonscrit avec soin, même en l'absence provisoire de fortifications et d'habitants.
De la même façon, les romains délimitaient par un sillon, creusé à l'araire, l'espace d'une future cité, lors de sa fondation. Les rituels de fondation d'un oppidum, c'est-à-dire d'une nouvelle ville celtique, sont semblables à ceux des cités romaines et grecques : les cultures de tous ces peuples sont très proches. C'est pourquoi la science d'aujourd'hui a rompu avec les conceptions misérabilistes que le XIXe siècle et le début du XXe siècle se faisaient des gaulois, sous l'influence d'une culture classique fondée exclusivement sur les textes des grecs et des latins, souvent méprisants, surtout les latins, à l'égard des gaulois. Bien sûr, la culture classique ne disposait pas des découvertes archéologiques récentes qui complètent et relativisent ces textes en obligeant à les confronter aux vestiges de la réalité gauloise.
9 - Quatre mamelons.
Au III, nous avons mentionné le mamelon circulaire très aplati d'une trentaine de mètres de diamètre et d'un mètre et demi de haut en son centre, situé au Sud-Ouest de la chapelle Sainte-Madgeleine. De quoi s'agit-il ? En voici plusieurs interprétations, abordées dans un ordre de probabilité croissante.
a - Si l'on accepte de remettre en cause la tradition locale qui considère que le tumulus a été employé comme base de la motte féodale (ce qui explique, on l'a vu, sa sauvegarde exceptionnelle alors que tous les autres tumuli de la nécropole ont disparu) on peut voir dans ce mamelon le vestige du tassement et de l'étalement de cette motte qui aurait alors été construite à cet emplacement.
Cette supposition doit être complètement écartée car ce mamelon (M1) manque d'ampleur pour être le vestige d'une motte et n'est pas unique sur le plateau du Pertus-Chuerin. Nous en avons prospecté trois autres (M2, M3 et M4) également bien visibles en hiver quand l'herbe qui les couvre est rase et ne dissimule pas leur forme.
Le mamelon M2 se trouve à 300 mètres environ au Sud de l'église Sainte-Magdeleine, au-delà du bois de châtaigniers qui recouvre l'ancien cimetière, et le mamelon M3 à environ 300 mètres à l'Ouest de M2. Ainsi M3 est proche du chemin des Frêches. M4 est à l'Ouest de l'église, dans le périmètre de la propriété du Bordage, près de sa maison. Ces trois mamelons ont la même forme que M1, mais semblent un peu plus petits ou un peu moins marqués.
A moins de supposer quatre mottes voisines, ce qui paraît absurde, puisqu'une motte est l'élément le plus notable d'un château défensif et que ces châteaux ne peuvent être aussi rapprochés, à moins de n'en former qu'un seul, il faut renoncer à voir dans ces mamelons des vestiges de mottes féodales.
b - Il est difficile aussi de comprendre ces quatre mamelons comme les vestiges d'autant de tumuli. Certes, cette nouvelle hypothèse aurait l'avantage de fournir des éléments complémentaires de cette nécropole impliquée par le tumulus fouillé, mais elle a le grand inconvénient de supposer alors une nécropole occupant au moins toute la moitié Sud de l'éperon, au Sud du chemin qui conduit aux Frêches. Or, si on admet que l'éperon a été occupé par un oppidum, son occupation par une nécropole serait contraire à ce que nous savons des oppida bien étudiés, où la nécropole est aux portes et à l'extérieur de l'oppidum, comme l'est bien, en effet, le tumulus fouillé. Nous ne considérons donc pas ces quatre mamelons comme les vestiges de tumuli affaissés.
c - Avec réserve et dans un souci d'exhaustivité, évoquons aussi l'hypothèse qui voit dans ces mamelons des tumuli arasés antérieurs aux gaulois. « Sur une quinzaine de sites photographiés d'avion on constate la présence, à quelques dizaines de mètres du lieu de culte gaulois, d'un ou de plusieurs cercles de l'Age du Bronze, autrement dit des tumulus arasés. Une telle juxtaposition ne peut être fortuite […] La comparaison doit […] être faite avec la Grèce où de grands sanctuaires ont été installés sur d'anciens herôa dont les sépultures étaient soit encore visibles, soit seulement symboliques. Le héros présumé demeurer dans la sépulture, étant considéré comme fondateur du lieu de culte, son nom lui restait attaché. » (J-L. Brunaux - Les religions gauloises, p. 90). Le culte des reliques au haut Moyen-Age maintiendra cette croyance, dans le cadre du christianisme. S'il est improbable que les quatre mamelons soient des tumuli gaulois affaissés, ce n'est pas leur plus grande antiquité qui les rendra plus acceptables.
d - Enfin, l'hypothèse la plus vraisemblable est que ces quatre mamelons sont bien des vestiges, mais ni ceux de tumuli, ni ceux de mottes, mais d'autres monuments. Nous écartons la possibilité qu'il s'agisse de vestiges du village médiéval pour deux raisons : leur emplacement et leur forme. Leur emplacement est manifestement extérieur à ce village. Son cimetière marquait la limite extrême de son extension. Leur forme n'est guère celle de ruines de maisons ou de bâtiments du même genre et la distribution en quatre mamelons ne résulte pas de la ruine d'un village.
L'hypothèse la plus vraisemblable et la plus cohérente avec le caractère sacré de l'oppidum est que nous sommes en présence de quatre autels de sacrifices, se présentant sous la forme de podiums en terre, hauts de quelques mètres et que le temps a tassé et étalé (voir annexe : les sanctuaires gaulois, d'après “les Celtes” d'Olivier Buchsenschutz). Des temples en bois les abritaient-ils ? Y a-t-il eu une telle transformation de podiums ou de fosses d'abord à l'air libre, puis recevant une toiture comme à Gournay-sur-Aronde ? (voir même annexe). Il est évidemment impossible de le savoir sans fouiller les mamelons, et le pouvoir de la réflexion trouve ici sa limite.
10 - Le Pertus-Chuerin est un ancien oppidum, sans trace d'habitat.
En résumé, le site du Pertus-Chuerin occupe un éperon circonscrit par des rivières et qui a dû être fermé ou barré par un fossé au Sud-Ouest. Le tumulus celtique de la Tène est le seul vestige subsistant d'une nécropole disparue, située à l'extérieur du site, près de la porte d'accès, depuis la Divate, à une enceinte également disparue.
La localisation de cette enceinte qui a pu être végétale (bois, arbustes) est possible : elle suivait le bord de l'éperon, sauf au Nord où elle laissait extérieure sa pointe Nord et au Sud-Ouest où elle devait suivre le fossé barrant l'éperon. Cette enceinte est indiquée tardivement par le nom de la Sanglère (voir VIII,3). Elle enfermait une cinquantaine d'hectares et laisse quatre mamelons qu'une analyse raisonnée a interprété comme des vestiges d'autels de sacrifices.
Un tel site à l'organisation complexe, cohérente à la fois en elle-même et avec ce qu'on sait aujourd'hui de ces sites, contraint d'y reconnaître un oppidum bien que rien n'indique qu'il ait été habité ni qu'un village s'y soit établi.
Certains oppida, comme celui de la Ségourie déjà évoqué (V, 4) semblent n'avoir jamais été habités. L'explication se trouve dans le fait qu'un oppidum est d'abord un site sacré ou repose ce qu'on a de plus précieux : les divinités. C'est pourquoi il sert de dernier refuge en cas de grave menace. Sa perte constitue pour un peuple la perte de son identité même. L'oppidum est couplé avec un village ou une cité, situé à une certaine distance, de l'ordre d'un kilomètre. Cette cité proche de la Ségourie était située aux environs du Petit-Nombault et a fourni du mobilier à profusion.
Ce dispositif oblige à se demander si le village du Bois-Guillet en premier lieu, ou un autre village n'était pas déjà, à l'Age du Fer, le site habité complémentaire de l'oppidum non habité du Pertus-Chuerin. Cette interrogation ne peut pas être étayée par des trouvailles au Bois-Guillet.
VI - Des permanences problématiques de l'Age du Fer jusqu'au haut Moyen-Age
1 - La permanence du peuplement, de l'occupation romaine aux carolingiens.
Evoquant le terroir à l'époque carolingienne, au IXe siècle, N-Y. Tonnerre écrit : « Avec tous ces ensembles boisés, l'ancienne cité des Namnètes [le pays nantais] présentait une densité boisée élevée. On peut l'estimer au tiers de l'ensemble du territoire. Par contre, au Sud de la Loire, dans l'ancienne cité des Pictons [peuple gaulois du Poitou qui s'étendait jusqu'à la Loire au Sud-Est de Nantes] le paysage était beaucoup plus dégagé. » (N-Y. Tonnerre - Naissance de la Bretagne, p. 119).
« Au sud de la Loire, il est difficile d'évaluer la densité du peuplement dans la zone comprise entre la Sèvre et la Divatte. Au bord du fleuve, l'occupation romaine a laissé de beaux vestiges, le plus bel exemple en est la villa des Cléons, à Basse-Goulaine… Par contre autour de Vertou, du Loroux-Bottereau, se sont maintenus des foyers de peuplement actifs. Les vestiges du haut Moyen-Age sont considérables, malheureusement, ils sont insuffisamment datés. » (Ibid., p. 122).
2 - La permanence des structures agraires et des sites habités.
« La prospection archéologique aérienne a apporté […] des informations qui éclairent la permanence des structures agraires (Archéologie du milieu rural en Haute-Bretagne aux époques pré-romaine et gallo-romaine). Cette prospection a été réalisée entre 1984 et 1990 dans le cadre des recherches du CNRS sous la direction de L. Langouët ; elle a donné lieu à un bilan publié début 1992 : Terroirs, territoires et campagnes antiques, supplément n° 4 de la Revue Archéologique de l'Ouest) […] La prospection aérienne a ainsi permis de recenser deux cents sites gallo-romains sur la partie orientale du Vannetais et une centaine sur le nord de la Loire-Atlantique entre Isaac et Semnon. (La zone prospectée comprend le tiers de la Loire-Atlantique.) » (Ibid., p. 134).
Certes il ne s'agit pas de notre terroir mais ces enseignements peuvent avoir une portée plus large.
« Le choix des sites [d'habitat] obéit à des constantes : d'abord les terrains en pente légère sont des interfluves, ce qui facilite le drainage et permet une exposition convenable, le plus souvent à l'est, à l'abri des vents dominants et au sud ; ensuite les rebords des plateaux et les positions dominantes au-dessus des vallées. » (idem, p. 135). Le Pertus-Chuerin a tous ces caractères.
3 - La permanence de l'habitat indigène pendant la période gallo-romaine.
« L'enquête a montré ensuite la permanence des traditions gauloises dans l'habitat… Enfin, les clichés mettent bien en évidence l'impact de la romanisation et en même temps la forte résistance à cette romanisation… Des sites de villæ gallo-romaines ont été repérés… Pourtant en même temps, s'est maintenue une civilisation indigène. Ainsi la prospection dans la vallée de la Chère n'a pas montré un seul bâtiment construit en pierre, à peu de distance des sites métallurgiques gallo-romains. De même, la présence d'enclos rituels à proximité immédiate des habitations témoigne d'une continuité religieuse étonnante depuis le Premier Age du Fer. Ces constations ont été confirmées par des fouilles au sol… Il est assuré que des fermes indigènes se sont maintenues dans l'intérieur du Nantais comme dans le Vannetais, jusqu'au IIIe siècle de notre ère. Il y a donc eu une continuité de l'habitat indigène pendant toute la période gallo-romaine. » (Ibid., p. 135).
Les archéologues radicalisent aujourd'hui cette conception continuiste : « L'historien Marc Bloch, pionnier de l'étude des paysages, et ceux qui l'ont suivi sur l'étude du milieu rural avaient situé au Moyen-Age les origines des formes de l'espace rural. [c'est le cas notamment de Roger Dion dans son “Essai sur la formation du paysage rural français”] Aujourd'hui, on les place résolument à l'Age du Fer, au Ier millénaire avant notre ère. Même l'époque romaine est relativisée. Les éléments de ces formes ont des dynamiques de longue durée, les interventions des sociétés ne cessant de provoquer des phénomènes d'auto-organisation qui ne coïncident pas avec les périodisations traditionnelles.
Par exemple, la période qui court de la fin du second âge du Fer [conquête de la Gaule, 58-51 avant J-C] jusqu'au XIe-XIIe siècles, soit près d'un millénaire et demi, n'est plus une transition, mais au contraire une phase majeure d'élaboration des morphologies du monde rural, par transmissions et transformations continues. » (Joëlle Burnouf - Archéologie médiévale en France, p. 22).
Bien entendu, il restait à nuancer et à éviter les contresens « A partir de ces observations, notre conclusion sera prudente. Il n'est pas question ici d'envisager un monde figé. Des évolutions sont évidentes, en particulier sur le plan économique et social […] Mais en se limitant volontairement à l'habitat, il est certain que dans les zones rurales s'est maintenu, au moins sur une partie des terroirs, un habitat encore proche des formes indigènes des premiers siècles de notre ère. » (N-Y Tonnerre - naissance de la Bretagne, p. 139).
4 - Des perspectives historiques à reconsidérer.
L'écriture de l'histoire a longtemps été pétrie des cultures gréco-latine et chrétienne pour lesquelles les gaulois n'avaient rien d'intéressant. Pour le curé Bioret et le R.P. Pétard, la messe est dite : ce sont des païens de l'Age de Pierre.
Aujourd'hui, les spécialistes des Celtes les trouvent valorisants car ils avaient déjà fait l'Europe unie avant l'Empire Romain. Entre temps, pour Napoléon III et la Troisième République, les gaulois incarnaient la résistance nationale, bien avant les monarchies issues du roi franc Clovis. Chacun voit midi à sa porte et, comme Josué, y arrête le soleil.
De plus, les nouveautés spectaculaires sont toujours plus faciles à étudier et à dater et sont plus valorisantes que les permanences de la trame des terroirs. Les “zones rurales”, selon le mot de N-Y Tonnerre, qui n'étaient ni des zones, ni rurales avant que les villes n'existent ont une histoire lente, sans changement spectaculaire.
Ainsi, dans “La mise en place du terroir de la Chapelle Basse-Mer”, nous avons nous-même étudié les effets de la mise en défense au haut Moyen-Age et ceux de la construction de la voie romaine Vertou-Champtoceaux sur le parcellaire, le plan des hameaux et de leurs accès, l'orientation de l'habitat et sa probable densification, en particulier entre le Colin et le Pont-Trubert sur la Divate. La création de cette voie gallo-romaine a provoqué plus ou moins rapidement une concentration de l'habitat et des hameaux et à partir du XIe siècle, la création du fortin du Gaillard et du Champ-Chapron, pour surveiller la frontière et la voie.
5 - La construction de la voie romaine Vertou - Le Loroux-Bottereau - Champtoceaux.
Quand cette voie gallo-romaine rectiligne et conçue comme une unité a-t-elle été construite ?
Emile Bonneau date le pont de l'Ouen du VIe siècle (voir IV, 1). Cette date n'est ni documentée, ni argumentée. Elle est possible et, à moins d'un gué ou d'une chaussée à perthuis, ayant longtemps précédé le pont, elle plaide pour la construction simultanée de la voie au VIe siècle.
Une autre hypothèse peut être mieux argumentée. Elle inclut cette voie aux travaux de mise en « sécurité du littoral, depuis Boulogne, clé des communications avec [l'île de Grande] Bretagne, jusqu'à Blaye sur l'estuaire de la Gironde : le tractus armoricanus et nervicanus dont le litus saxonicum est le pendant dans l'île. » (Jean-Christophe Cassard : La Bretagne des premiers siècles, p. 11). En effet « entre 250 et 275, les rivages de l'île de Bretagne comme ceux de la Gaule occidentale ont subi les attaques dévastatrices des pirates francs… Il est décidé de procéder à une profonde réorganisation administrative de l'Armorique doublée de la militarisation de ses côtes… Les chefs-lieux des cités sont déplacés : chez les Coriosolites, Corseul se trouve abandonné pour Alet vers 270... Pour faciliter une intervention rapide des secours en cas de débarquement, de nouvelles routes sont tracées, parallèles aux grandes inflexions du rivage : ces rocades stratégiques viennent supplanter le réseau routier romain plus ancien qui divergeait à partir des cités de l'intérieur, Rennes et Carhaix notamment. » (Ibid.).
Pour une flotte de guerre constituée de navires modestes, l'estuaire maritime de la Loire s'étend au moins jusqu'à Champtoceaux. Quand Nantes n'en a pas la puissance, le goulet de Champtoceaux est le site naturel le plus approprié pour immobiliser une flotte remontant ou descendant la Loire. Au milieu du Xe siècle, quand Nantes, en ruine, est reconquise par Alain-Barbetorte, la construction à cette fin de la forteresse de l'Epine-Gaudin en apporte la preuve.
La voie Vertou-Champtoceaux permettait à la fois de relier Nantes à Champtoceaux par le Sud de la Loire et d'atteindre sa rive gauche, depuis Nantes, par voie de terre, alors que les Marais de Goulaine rendaient cette rive d'accès difficile.
Dans ces conditions, cette voie aurait été construite peu après 275, à la fin du IIIe siècle.
VII - Le Pertus-Chuerin au XIe siècle
1 - L'héritage.
Au XIe siècle, le site naturel du Pertus-Chuerin est évidemment encore en place : le plateau formant éperon avancé domine la Divate et ses deux affluents locaux. Les héritages gaulois et gallo-romain dégradés et usés sont encore en place comme les décors fanés d'un nouvel acte marquant l'histoire du lieu.
a - L'héritage gaulois consiste en la nécropole à la pointe Est de l'éperon plus résistant et plus préservé que le village perché voisin. Le tumulus principal, grâce à sa masse de pierres entassées, subsiste depuis douze ou treize siècles. Les matériaux du reste de la nécropole, s'ils n'ont pas été réemployés, sont sur place et disponibles. A quoi ressemblent-ils alors ? Sait-on encore que ces “chuerins” sont des tombes ? Y est-on indifférent ? Ils sont probablement recouverts de terre et de végétation, surtout après le siècle de la domination normande (843-939).
- A l'Est, le chemin de rive de la Divate permet de circuler à plat, mais oblige à épouser chaque méandre de la rivière sauf s'il parvient à le court-circuiter au pied du coteau opposé.
- Au Sud-Ouest, le Pertus-Chuerin est lié au Loroux-Bottereau par un vieux chemin antérieur à la voie Vertou-Champtoceaux qui l'a supplanté. Ce chemin passe près des Perrines (lieu pierreux car élevé de 83 m), à la Blardière (terre à blé), à la Guitière (du verbe guaiter, de 1080, qui a donné guetter) et à la Basse-Maillardière, et ne peut pas s'expliquer sans un habitat celte au Pertus-Chuerin.
b - L'héritage gallo-romain le plus net est celui des voies gallo-romaines, construites soit à l'époque mérovingienne de Saint Félix et Saint Martin de Vertou (VIe siècle) comme le suggère la légende du Pont-de-l'Ouen, soit peu après 275 (voir VI, 5).
- A l'Ouest, la voie la plus proche relie Vertou à Champtoceaux par le Pont-de-l'Ouen, le Loroux-Bottereau et les villages de la Strée (du latin : strata, voie), l'Espérance (du latin : expediens, mettre le pied à l'extérieur) qui est un quadrivium, un carrefour avec le chemin du XIe siècle qui relie la Chapelle Basse-Mer au Bois-Guillet, appelé aujourd'hui Barbechat, la Giraudière (lieu où l'on tourne en rond), le Gaillard (fortin de frontière médiéval) et le Pont-Trubert (du village voisin de la Trébertière : celtique treb, lieu habité) (voir Y-B G. : La Mise en place du Terroir).
Cette voie Vertou-Champtoceaux a amélioré les liaisons du Pertus-Chuerin avec le Loroux-Bottereau comme avec Champtoceaux en permettant de circuler à plat et en ligne droite. Elle est devenue localement l'axe principal.
- A l'Est et plus éloigné le “Chiminus Montfalconensis” joint Montfaucon à Champtoceaux par le Puiset-Doré, Saint-Christophe-la-Couperie et la Forêt du Parc en Saint-Sauveur-de-Landemont (Teddy Verron - L'intégration des Mauges à l'Anjou au XIe siècle, p. 43).
Il faut aussi mentionner la pièce de monnaie trouvée près de la motte, en 1858, par le fermier du Bordage : une quinaire de l'empereur romain Zénon (474-491) (R. Secher - Anatomie, p. 792, note 48). Cette monnaie est un fort indice du caractère habité du Pertus-Chuerin après 491, c'est-à-dire au VIe siècle, époque de l'évangélisation de Saint-Martin de Vertou dans le Nantais outre-Loire (voir IV-1).
2 - Le château à motte.
A Barbechat, le château à motte semble construit avant 1050 car un bourg qui le désigne est alors cité par écrit pour la première fois, ainsi que l'Epine-Gaudin et la Chapelle Basse-Mer dans une charte de l'abbaye bénédictine de Marmoutier. (voir II, Le toponyme : Barbechat) Plusieurs arguments plaident pour une plus grande ancienneté : d'abord, la construction de ce type de château commence vers 960. (Philippe Contamine : le Moyen-Age, p. 179). Ensuite, localement « le gros du défrichement aurait été effectué avant cette date [de 1050] » (R. Secher - Anatomie, p. 85) et il participe du même élan que la construction du château à motte. Enfin, la forteresse de l'Epine-Gaudin, à moins de 6 km, a dû être ordonnée par Alain Barbetorte peu après sa victoire de 936, à Nantes, sur les normands et surtout peu après son traité de 942 avec le comte de Poitiers Guillaume Tête-d'Etoupe qui lui donne le Sud de la Loire. Tout ce contexte tend à avancer de l'ordre d'un siècle avant 1050, la construction de ce château.
La terre, le bois et l'eau sont les matériaux traditionnels des ouvrages de défense dès la préhistoire, de même que sont habituels leurs fossés, leurs taillis défensifs, leurs enceintes et leurs palissades. L'innovation du château à motte — son nom l'indique — est d'accumuler en bord de rivière un tas de terre, le plus haut possible, pour porter une tour en bois qui sert de refuge en cas d'attaque, de guet pour surveiller le voisinage et d'habitation inconfortable, soumise au vent et à la pluie, impossible à chauffer car combustible et fragile aux attaques incendiaires. Il faut en empêcher l'approche par des enceintes et des haies servant de lignes de défense successives en cas de repli.
En creusant un fossé extérieur, on lève derrière lui un talus sur lequel on dresse une haie de pieux ou d'échalas qui enferme la basse-cour et la protège. C'est là qu'on construit des logements plus confortables pour le seigneur, quelques chevaliers ou gens d'arme et leurs serviteurs qui forment la garnison, des écuries, des hangars et une chapelle, prioritaire dans l'emploi des meilleures pierres.
Ce château à motte vaut plus par la qualité de ses défenseurs que par les siennes propres. Son but est surtout de manifester la puissance seigneuriale montante de parvenus, de dissuader les rivaux de toute escarmouche et les manants de toute révolte.
3 - Le château à motte de Barbechat réemploie le tumulus et les matériaux de la nécropole.
A Barbechat, pour édifier le château à motte, on aménage le tumulus encore en place, même s'il est dégradé. Cette solution n'a que des avantages : une évidente économie d'efforts et de matériaux, le site visible, dissuasif et efficace du tumulus, à l'emplacement précis où la falaise présente la verticalité la plus nette et au confluent dégagé de la Divate et du ruisseau du Sud de l'éperon. Faut-il préciser que la notion de préservation d'un patrimoine n'existe pas alors ?
S'ils subsistaient encore, les tumuli secondaires sont alors réemployés pour renforcer et surélever le tumulus principal, ou pour d'autres travaux, en premier lieu édifier la chapelle.
La motte a donc ici la particularité d'être en pierres. Ce n'est pas une exception, c'est aussi le cas à l'Epine-Gaudin où le point culminant du môle rocheux forme au moins la base d'une motte où on a dressé une tour de guet. (voir Y-B G. “Visitons la forteresse de l'Epine-Gaudin”).
Mais le réemploi des pierres des tumuli secondaires n'a pas fourni tous les matériaux nécessaires : on a creusé dans le roc une fosse rectangulaire sur laquelle est construite la maison d'habitation actuelle du Bordage, et dans le fond de cette fosse, on a creusé un puits carré dans le roc. Cette fosse et ce puits ont été utilisés comme partie basse d'un logement, ou s'ils étaient étanches, comme cuve de stockage ou comme citerne. En tous cas, les pierres tirées de ces excavations ont contribué au programme de construction.
4 - Organisation du château à motte et de ses environs.
S'il est impossible de préciser l'emplacement et les caractères des autres constructions, par contre, l'église a toutes les chances d'avoir été créée à l'emplacement même et avec les dimensions des vestiges qui subsistent encore de sa reconstruction du XIIIe siècle. Traditionnellement, la chapelle, la cure et les logements du seigneur et de la garnison se trouvaient dans l'enceinte du château à motte. On peut se faire une idée de cette enceinte. Elle prenait appui sur la motte en avant-corps sur la vallée vers l'Est, comme une barbacane, c'est-à-dire un ouvrage extérieur complémentaire d'un château. Le côté Nord-Est de l'enceinte et son côté Sud-Est suivaient le bord escarpé du plateau. Il est d'autant plus facile de fixer ces deux côtés sans erreur qu'il semble en subsister un vestige, au pied de la motte, au Sud. Cette motte, couronnée de sa tour en bois et avancée sur la vallée au milieu du rempart avait une allure farouche et imprenable, caractère indispensable à une défense pour éviter qu'elle soit prise. Pour clore la basse-cour, le reste de l'enceinte formait deux côtés parallèles aux deux précédents pour enclore un carré ou un rectangle, ou plus simplement, il formait un arc de cercle où s'ouvrait le portail du château. Mesurée au plus juste, en incluant la chapelle et le Bordage, l'enceinte enfermait une surface d'un hectare environ.
La conjecture déjà évoquée d'un village subsistant depuis la Tène plaide pour des constructions extérieures à l'enceinte du château à motte, tout simplement parce qu'elles précédaient alors sa création. Elles devaient en être toutes proches. D'autres constructions ont pu être intégrées dans sa basse-cour ou démolies pour l'établir.
Le cimetière aujourd'hui désaffecté et planté d'une châtaigneraie est sommairement décrit en 1683 dans le procès verbal de “commodo et incommodo” de Dom Antoine Binet, en vue de la translation de l'église Sainte-Magdeleine dont nous parlons plus loin : « Nous sommes allé voir le cimetière, sis à deux ou trois cents pas de ladite église, qui n'est entourée que de haies de fossés… » (R. Secher - Anatomie, p. 153). Ce cimetière était à l'extérieur du château à motte et même à l'extérieur du bourg. En effet, en 1563, le concile de Trente ordonne de déplacer les cimetières hors des agglomérations pour éviter les épidémies. Cette disposition remet en cause la vieille tradition chrétienne d'inhumer dans les églises ou à leurs abords et n'est mise en œuvre que lentement et incomplètement. En tous cas, ce cimetière établit la limite que le bourg ne pouvait pas dépasser et l'étang voisin semble le vestige de sa douve d'enceinte. Son emplacement, à l'opposé de l'ancienne nécropole gauloise, confirme que l'accès à Barbechat, vers 1050, se fait par le plateau et par Les Frêches.
5 - L'inversion de l'entrée du site antique du Pertus-Chuerin.
A la Tène ou second Age du Fer, l'éperon du Pertus-Chuerin était ouvert sur la Divate, principale voie de la région, prolongeant la Loire. C'est pourquoi nous avons fait l'hypothèse d'une liaison entre la rivière et le plateau par un escalier ou mieux une rampe d'accès au flanc du coteau.
Le château à motte est fortifié davantage sur le front de la vallée de la Divate que sur le front du plateau, où se trouve la porte d'entrée qui est toujours un point faible. La vallée représente le danger principal. Nous avons vu que la Divate et son chemin de rive ne sont plus la première voie de la région puisqu'ils ont été supplantés par la voie gallo-romaine du Loroux-Bottereau à Champtoceaux. De plus, aux Xe et XIe siècles, la Divate et la Loire ont été les voies privilégiées des marins vikings pour pénétrer le pays. Ce sont donc les voies suspectes du danger, de l'invasion, de la servitude.
En somme sur l'éperon du Pertus-Chuerin, le château à motte ne se contente pas de succéder à l'ancien oppidum ou citadelle de hauteur (Barbechat). Le château à motte retourne l'entrée principale du site. A la Tène l'entrée se fait principalement à l'Est par la vallée de la Divate, quelque pénible qu'ait été l'escalade du coteau. Par contre, au haut Moyen-Age, on entre dans le château à motte par le Sud-Ouest à partir de la voie gallo-romaine et du chemin d'accès par les Frèches. Ce ne sont pas seulement les voies qui ont échangé leur importance relative, c'est aussi une représentation de l'espace et du danger qui est en cause, dans les mentalités. Quand ils s'installent sur le site, les gaulois sont les conquérants. Les seigneurs du milieu du Xe siècle récemment devenus bretons et leurs hommes sont les anciens tributaires des vikings qui les asservissent depuis un bon siècle.
6 - Guillelmus de Barba Cati et ses liens féodaux.
Guillelmus de Barba Cati en latin, — Guillaume de Barbechat en français moderne — nommé dans la charte de 1050 déjà évoquée, est un des rares seigneurs de Barbechat dont nous connaissions le nom, avec Amauricus de l'Epine-Gaudin et Guielmus de Capella — Guillaume de la Chapelle — qui y sont nommés également.
Il est tentant de mettre le nom de Guillelmus de Barba Cati en relation avec le Bois-Guillet qui semble signifier le bois de Guillelmus. De même, au XIIe siècle, on met le nom de Jean de Barbechat (R Secher - Anatomie, p. 107) en relation avec le Bois-Jahan. Mais ce dernier nom peut aussi provenir des noms hahan et afan (XIIe - XIIIe s.) qui ont le sens d'“effort difficile, peine” et “travail pénible” (XIIIe s.) ou du dérivé verbal haner qui signifie “labourer” (XIII - XVIe s.) (DHLF, p.35). Autrement dit le Bois-Jahan peut signifier le bois défriché avec effort, ou le bois devenu labour d'une terre peut-être lourde.
Aux environs de l'an 1000, la féodalité se met en place. Elle repose sur les relations de dépendance personnelle d'homme à homme. On aimerait connaître les éventuels rapports de vassalité entre les seigneurs évoqués par la charte de 1050. Elle n'en dit rien et consigne seulement les intérêts locaux de l'abbaye de Marmoutier. Les historiens du haut Moyen-Age soulignent qu'aux XIe et XIIe siècles, les rapports de vassalité sont changeants, justement parce qu'ils reposent sur des rapports d'abord personnels. On ne peut espérer les suivre à travers les sources, même moins ponctuelles que celles dont nous disposons, qu'un peu plus tard lorsqu'elles se stabilisent puis se figent. On peut réfléchir cependant aux conditions qui président aux relations du seigneur de Barbechat avec les trois châtellenies les plus proches en se servant des maigres indices disponibles : Champtoceaux, le Loroux-Bottereau et l'Epine-Gaudin.
a - La châtellenie de Champtoceaux est la plus puissante des trois châtellenies, mais c'est aussi la plus éloignée. Précisons que Champtoceaux vient de « castrum sellensis ». (N.Y. Tonnerre - Naissance de la Bretagne, p. 162). « Sellensim castrum, VIe s. ; Sellis, VIIe s. ; Sels, VIIIe s. ; de castello celso, 1061 ; Chastoceaux, fin XVe s. : composé du latin castelum, château, et de l'ancien nom de la ville Sels ; (attraction tardive de champ.) » (DENLF, p. 171). Aucun de ces auteurs ne précise que le gaulois : cellos signifie : marteau ou frappeur. (J-P. Savignac - DFG, p. 209). Elle est reliée à Barbechat par la voie du Loroux-Bottereau à Champtoceaux. Selon Teddy Verron, (L'intégration des Mauges à l'Anjou au XIe siècle) elle s'étend, au XIe siècle, sur les paroisses du Fuilet, où elle possède l'église Saint-Martin-de-Vertou, de Drain où elle possède une pêcherie, sur la villa (grand domaine) de la Varenne où elle possède divers biens, ainsi que la dîme de la terre de Landemont, le fief de Liré, peut-être Saint-Laurent-des-Autels, Saint-Sauveur-de-Landemont et Saint-Christophe-la-Couperie qui « au XIe et XIIe siècles relevaient de la baronnie de Champtoceaux (C. Port) » (T. Verron, Id, p. 144). La paroisse de Bouzillé « était probablement divisée entre la juridiction de Champtoceaux et celle de Saint-Florent-le-Vieil. » (Ibid, p. 146). De cette liste, on peut conclure que la châtellenie de Champtoceaux n'avait aucun droit féodal à l'Est de la Divate. On ne peut pas dire pour autant que ses droits se trouvaient dans les Mauges, car la Divate n'était pas la frontière traditionnelle des deux pagi des Mauges et de Tiffauges où se trouvait
Champtoceaux, Barbechat et la Chapelle Basse-Mer. Teddy Verron étudie le tracé de cette frontière et conclut que « Partant de la Loire, la limite occidentale des Mauges descendait vers le sud parallèlement à l'Evre en rejetant dans le pays de Tiffauges la seigneurie de Champtoceaux et sans doute une partie du territoire exempt de [l'abbaye bénédictine de] Saint-Florent-le-Vieil… La paroisse de Bouzillé… ne faisait donc probablement pas partie des Mauges, mais était-elle la seule du territoire exempt à être dans ce cas ? Liré et le Fuilet qui dépendaient directement du châtelain de Champtoceaux en seraient aussi exclues. » (Ibid, p. 25). Précisons seulement que les pagi des Mauges et d'Herbauge ont été créés avant la conquête romaine mais que le pagus de Tiffauges lui est postérieur. Sous l'empereur Auguste, ces trois pagi ont été donnés au Pictons, fidèles à Rome, alors que les Namnètes et les Ambilâtres, qu'on situe mal, au Sud de la Loire, mais sur une partie de l'ancien territoire correspondant à ces pagi, s'étaient soulevés contre César en 56 avant J-C, et en furent ainsi punis. (F. Abbad : La Loire Atlantique des origines à nos jours, p. 71-72).
Ainsi, bien qu'appartenant au même ancien pagus gallo-romain de Tiffauges, on peut être certain que la seigneurie de Barbechat ne dépend pas de la châtellenie de Champtoceaux au XIe siècle, ni par la suite, ni bien entendu d'une châtellenie située plus à l'Est comme celle de Montrevault.
b - La châtellenie du Loroux-Bottereau.
« D'autres agglomérations antiques n'ont pas donné naissance à des châtellenies médiévales. Leur déclin était déjà patent à l'époque carolingienne. Ainsi, Mauves et le Loroux-Bottereau offrent l'exemple d'agglomérations n'ayant pas donné naissance à des châtellenies. » (N-Y Tonnerre, Naissance de la Bretagne, p. 315). En effet le vicus gallo-romain de Mauves disparaît au IIIe ou IVe siècle et le bourg actuel n'apparaît qu'au XIIe siècle (Mauves-Histoire n° 1, p.10 et 16).
Mais, ce jugement nous semble un peu abrupt pour le Loroux-Bottereau où la châtellenie originelle n'a simplement pas laissé de traces écrites avant sa subdivision en trois fiefs, qui s'opère avant l'“Assise au comte Geoffroy” de 1185.
Nous devons ce qui suit à l'obligeance de M. Louis Bossard que nous remercions vivement.
« On ne sait avec précision si CHOTARD (dont l'un d'eux était notable d'Ancenis au moment des Croisades) fut seigneur du Loroux et à quelle époque, bien que ce nom soit resté à un coteau et à l'étang amont du château.
Il est quasiment certain qu'en 1105, ALAIN était seigneur du Loroux (Loratorium) ; il était fils d'AMALGOD et père d'AKARIAS surnommé Bottereau (AKARIAS cognomento Boterellus.).
Avant 1185, date de l'assise du Comte Geoffroy qui interdit le partage des fiefs de chevaliers et institue le droit d'aînesse, la châtellenie du Loroux avait été partagée en trois parties qui, par la suite, se révélèrent être :
a - la châtellenie proprement dite (avec le château), qui percevait les 2/3 de divers droits perçus en la ville ;
b - la seigneurie de la Salle de la Haye-Bottereau…
c - la seigneurie de Doit-Rouaud. » (Louis Brossard : Le Loroux-Bottereau (44) Seigneurs de la châtellenie, Aperçu chronologique, p. 31).
Nous relevons aussi cette remarque : « Le vieux bourg de Barbechat… dépendait de la seigneurie de l'Epine-Gaudin » (Francis Renoul, Eléments historiques, Bulletin paroissial, mai 1906, p. 69, in Louis Bossard, Ibid., p.14).
d - La châtellenie de l'Epine-Gaudin est la plus proche de Barbechat à 5,5 kilomètres.
Les sources locales muettes jusqu'au XVe siècle deviennent alors explicites, et aux siècles suivants bavardes, pour dire que la paroisse de Barbechat comme celle de la Chapelle Basse-Mer dépendent dans l'ensemble de l'Epine-Gaudin. Rappelons que Barbechat, paroisse indépendante jusqu'au début du XVIe siècle, s'avère intégrée à celle de la Chapelle Basse-Mer en 1520. Par exemple, dans un aveu du 17 septembre 1787 « Jean Huchon… demeurant à la Massonière, doit reconnaître que le dit seigneur marquis de Baillache a pour cause de ladite châtelainie de Lepine tous droits de haute, moyenne et basse justice,… droit de messe basse en la dite église de Barbechat, prééminance d'église, prières nominales droits de quintaine, … jeu de pelote tous les lundy de la pentecôte de chaque année au canton de Barbechat… foires, marchés, police et généralement tous autres formes droits… » (R. Secher - Anatomie, p. 202). Ce sont bien là les droits d'une châtellenie « Des aveux similaires sont passés en 1751, 1723, 1679, 1631. » (Ibid.).
L'intégration des seigneuries de la paroisse de Barbechat à la Châtellenie de l'Epine-Gaudin reflète une situation ancienne qui semble remonter à la création de cette châtellenie liée à celle de sa forteresse, peu après le traité de 942 entre Alain Barbetorte, nouveau duc de Bretagne et le comte de Poitiers Guillaume Tête d'Etoupe qui fait passer les trois pagi des Mauges, de Tiffauges et d'Herbauge en Bretagne, au moins pour la durée de la vie d'Alain Barbetorte.
Deux autres indices minces plaident aussi pour cette dépendance ou cette vassalité ancienne des seigneurs de Barbechat au castellanus de l'Epine-Gaudin. D'abord l'abbé de Marmoutier, curé en titre nommait les recteurs des cures de Barbechat et de la Chapelle Basse-Mer auxquelles nous joignons par déduction celle de l'église Saint-Nicolas de l'Epine-Gaudin. Mais ce n'est pas là un lien vassalique, mais un accord, reproduit de cure en cure entre les mêmes contractants. Ensuite la liaison par voie de terre avec l'Epine-Gaudin est double, alors que les liaisons tant avec Champtoceaux qu'avec le Loroux-Bottereau se font par une voie simple : la voie romaine toute droite, et efficace car elle est presque plane et chemine au sommet du plateau. En effet depuis le Pertus-Chuerin, on gagne l'Epine par le Nord, en passant par le Bois-Guillet, la Sangle, voire la Communauté ou par le Sud, en passant par la Petite-Graolière et le bourg de la Chapelle Basse-Mer. Il est vrai que ce dernier chemin est d'abord la liaison du Pertus-Chuerin et du bourg de la Chapelle Basse-Mer, liaison abandonnée aujourd’hui entre le Pertus-Chuerin et la Petite-Graolière et dont l'autre partie entre la Petite-Graolière et la Chapelle Basse-Mer est devenu un tronçon d'une liaison de la Chapelle Basse-Mer avec la Remaudière et Landemont. Il est logique qu'une liaison directe ait existé entre les bourgs du Pertus-Chuerin et de la Chapelle Basse-Mer. Dans quelle mesure ce chemin peut-il être considéré comme le chemin du Sud pour l'Epine, doublant le chemin du Nord ? En somme, cet argument est mince — comme nous l'annoncions.
VIII - Déclin et abandon du Pertus-Chuerin à partir du XIIIe siècle
Faute de sources plus anciennes, la carte reconstituée des seigneuries de la Chapelle Basse-Mer et de Barbechat au XVe siècle, fait apparaître le Pertus-Chuerin et ses environs divisés alors en trois parties : la seigneurie de la Monderie, au Nord-Ouest, celle de la Sanglère, au Sud-Ouest et la forêt en bord de la Divate et de ses affluents, à l'Est (R. Secher, Anatomie, p. 184)
1 - La forêt occupe le site du Pertus-Chuerin.
Le site antique et du Moyen-Age du Pertus-Chuerin se trouve alors en lisière de la forêt et de la friche qui constituait des communs ne dépendant d'aucune seigneurie. Les deux toponymes les plus proches au Sud-Ouest, à la sortie de l'éperon vers le plateau s'appellent encore la Forêt et les Frêches. Fresche (v. 1280) ou freche (1287) sont des formes dialectales de friche (1251) pour désigner une terre qu'on laisse reposer. (DHLF, p. 845). Ces espaces, où les arbres et les arbustes poussent sans entretien, occupent encore aujourd'hui largement tous les coteaux escarpés de la Divate et de ses affluents, notamment l'affluent d'aval du site, affluent voisin des Frêches.
Ces boisements trouvent une explication dans la frontière que constitue la Divate depuis la fin du XIe siècle entre le duché de Bretagne et le comté puis le duché d'Anjou auquel le royaume de France succédera en 1480. Puis, par l'acte de 1532, l'union de la Bretagne à la France annule cette frontière politique en laissant toutefois subsister la frontière fiscale de la gabelle, indiquée par le ruisseau de la Javelière, affluent de rive droite de la Divate. Les marches séparantes comprennent les paroisses de la Châtellenie de Champtoceaux, entre la Divate et l'Evre. Mais ces forêts pérennes sont les restes des vastes foresta des temps mérovingiens et carolingiens, c'est-à-dire des « territoires dans une situation juridique spéciale et mis en dehors du droit commun. » (N.Y. Tonnerre - Naissance de la Bretagne, p. 111). qui se distinguent de la silva désignant les simples bois, mais bien des textes littéraires sans prétention juridique emploient ces mots l'un pour l'autre.
« Forêt, nom féminin, est probablement issu (vers 1121, forest) du bas latin (silva) forestis (encore attesté dans les capitulaires de Charlemagne) qui signifiait “forêt relevant de la cour de justice du roi”. Forestis est en effet un dérivé de forum “tribunal” (→ for) et a désigné (648) le territoire dont le roi se réservait la jouissance. Cette valeur juridique des premiers emplois rend peu probable une origine francique, à partir de oforhist “futaie de sapins” (cf. allemand Föhre “pin sylvestre”). On a aussi rapproché forestis silva de l'italien et de l'ancien provençal forestiero “qui est en dehors (de la commune)”, dérivé du latin foris (→ fors) ; la silva forestis aurait été un bois hors des limites, et donc de la juridiction, de la commune (opposé à silva communalis). La graphie actuelle n'apparaît qu'au XVIIe siècle.
Forêt, en concurrence avec bois, a éliminé l'ancien français selve, du latin silva “forêt”, qui ne subsiste que dans des noms de lieux (à partir de silva ont été construits plus récemment des termes techniques ; → sylv ⎯). Le mot désigne une vaste étendue couverte d'arbres (vers 1121) et, par analogie, forêt de … se dit (XIVe siècle) d'une grande quantité d'objets longs et serrés (comme les arbres d'une forêt). Par métaphore, le mot signifie (1857) “ensemble complexe et inextricable” ». (DHLF, p. 813).
Sur les bords de la Divate, la forêt est un reste des deux forêts de Dumen et du Lattay. La forêt de Dumen (ou Doumen) est évoquée par la Vita Sancti Martini Vertavensis, la Vie de Saint Martin de Vertou de Liétaud de Micy qui vécut dans la seconde moitié du Xe siècle (Ibid, p. 192) : « a sylva quam Dumen vocant ». Elle s'étendait « jusqu'aux Mauges depuis Vertou » (M. Rouche, l'Aquitaine des Wisigothts aux Arabes, p. 418-781) en constituant non pas un tissu continu, mais une alternance de bois et de landes sauvages coupés de grands espaces habités et de clairières cultivées. Les landes ont fortement marqué le pays à l'Est comme à l'Ouest de la Divate. Elles occupaient le haut des plateaux de Landemont à Barbechat (le Moulin-des-Landes, la Lande, le Bas-des-Landes, les Ajoncs) à la Chapelle Basse-Mer (la Lande-du-Praud), au Loroux-Bottereau (la Guitière-des-Landes, la Croix-des-Landes, le Moulin-des-Landes, la Rinière-des-Landes, la Lande) et au Landreau (la Lande-Fermée, le Landais). Ces landes sur le haut du plateau étaient propices à l'établissement de moulins à vent comme on le voit par les deux : Moulin-des-Landes qu'on vient d'énoncer et par le Moulin-du-Douet-Rouaud, le Moulin-des-Brosses au Loroux et le Moulin-Guillet au Landreau qui peut devoir son nom à Guillaume de Barba Cati.
Cette forêt de Dumen du pagus de Tiffauges se prolongeait entre la Divate et l'Evre puis au-delà de l'Evre, dans le pagus des Mauges, par la forêt du Lattay. Deux lieux portent encore ce nom : un hameau au Nord de Saint-Christophe-la-Couperie, en lisière du Bois de la Foucaudière et la commune de Saint-Lambert-du-Lattay à l'Est du pagus (T. Verron - l'Intégration des Mauges à l'Anjou au XIe siècle, p. 35-36). Le Lattay sur la départemetale D37, près de la Noë Bel-Air, en Vallet bien que situé très à l'Ouest, paraît garder la mémoire du même ensemble.
Mais ces grandes foresta caractérisent — répétons-le — la période mérovingienne et carolingienne, du Ve au IXe siècles dont la situation actuelle est la lointaine héritière dont subsistent des lambeaux comme le Bois de la Foucaudière, le forêt de Leppo et les bois de la Divate, plus boisée que l'Evre car plus étroite et plus encaissée.
Au XVe siècle, le Pertus-Chuerin se trouve donc dans la forêt et la friche. A l'évidence, puisque le centre seigneurial l'a quitté, le château à motte est alors une ruine à l'abandon dans cette forêt, depuis cette migration difficile à dater. L'éperon est à moitié recouvert d'arbres et de broussailles dans sa partie Sud, le long de l'affluent d'aval de la Divate. La Forêt, les Frêches, la Petite-Graolière en marquent la lisière (Graolière : déformation de : gravelière qui provient de : grave). « Comme grève, le mot [grave] a désigné un terrain sablonneux au bord de la mer ou d'un fleuve (fin XIIe s). Il est employé pour gravier (1390) .» (DHLF - p. 913). La Riverie (de : rive) et la Pinarderie (du latin : ardere, donc : pin brûlé) se trouvent dans cette forêt qui s'étend jusqu'à l'actuelle départementale 31, mais laisse à découvert le hameau des Perrines (de pierre, endroit caillouteux).
Cerné par cette forêt et amputé de son château à motte, le bourg du Pertus-Chuerin survit comme une petite flamme vacillante. Beaucoup de ses habitants ont émigré au Bois-Guillet à un kilomètre ou à la Grande-Graolière, à un kilomètre et demi, ou aux Perrines, au débouché de l'éperon sur le plateau qui le prolonge, ou encore plus loin.
M. Louis Bossard rapporte l'affirmation de Francis Renoul que Barbechat a été inclus dans les destructions que l'armée bretonne a infligé aux biens des Penthièvre après leur « prise de Jean V, duc de Bretagne, le 13 février 1420... Le château de l'Epine-Gaudin qui appartenait aux PENTHIEVRE fut détruit ; le vieux château du Loroux fut en partie démoli par suite des sièges qu'il eut à soutenir, et le vieux bourg de Barbechat, qui dépendait de la seigneurie de l'Epine-Gaudin, disparut. » (Francis Renoul, Eléments historiques, Bulletin paroissial, mai 1906, p. 69, in Louis Bossard, le Loroux-Bottereau (44), Seigneurs de la Châtellenie, Aperçu chronologique, p. 14).
2 - Le domaine ecclésiastique de la Monderie mesurait 200 hectares. (R. Secher - Anatomie, p. 183). Sa forme arrondie en bourse est caractéristique des fiefs du haut Moyen-Age. Il se serait appelé la Moinerie (lieu des moines) ce qui ne correspond pourtant pas au sens de Monderie qui signifie : émonde « du latin impérial : emundare, nettoyer purifier, fin XIIe s. Les esmondes désignent les branches coupées (1557). » (DHLF, p. 680). La terminaison en -erie indique le dernier tiers du XI et le XIIe siècles, et confirme son caractère ecclésiastique, ce qui est aussi le cas de la Brunetterie voisine (rendu brun, brûlé, défriché). Les défrichements modestes du Xe siècle, après la présence des Normands vikings pour remettre en culture des terres abandonnées, puis plus intenses au XIe siècle, bien qu'il ne faille pas les exagérer, sont partis de la Monderie en direction de la Loire et de l'Ouest.
Le domaine de la Monderie est comparable au domaine de Saint-Pierre-es-Liens, près de la Chapelle Basse-Mer, qui est un alleu donné à l'abbaye tourangelle de Marmoutier, établi pour l'essentiel sur le fertile bassin de la Noue et en rétribution de la tâche de fondation du bourg de la Chapelle Basse-Mer. Le châtelain (castellanus) de l'Epine-Gaudin a fait appel à cette abbaye et lui a donné cet alleu ou fief franc, c'est-à-dire libre de tout droit seigneurial. L'abbaye y a construit le prieuré Saint-Pierre-es-Liens et lorsque le nouveau bourg qui existe en 1050 est érigé en paroisse, elle y assure le service de la cure rétribué par la dîme (voir Y-B Gasztowtt : La création du bourg de la Chapelle Basse-Mer).
A la Chapelle Basse-Mer, de nombreux indices convergents nous ont permis de découvrir et reconstituer ce processus, ce qui reste un objectif encore hors de portée à Barbechat où les indices conservés paraissent moins nombreux. On peut faire l'hypothèse d'un processus comparable : l'abbaye concernée est la même, le domaine de la Monderie, également voisin du bourg du Pertus-Chuerin, est également établi sur les deux vallées affluentes de la Divate qui flanquent à l'Est et à l'Ouest l'éperon de la Giraudière. A la Monderie, pour filer la comparaison, on n'a pas trace de l'existence d'un prieuré, mais seulement cet écho du nom de Moinerie qui l'aurait précédé et le toponyme voisin : la Forgetière, difficile à dater, évoque une forge, liée au chemin qui mène du Pertus-Chuerin à l'Epine (aujourd'hui de Barbechat à la Communauté) et croise la voie romaine tout près de la Forgetière, pour ne pas dire à cet endroit. A la forge, on fabrique les roues, les fers des bêtes de somme et surtout les premières charrues dont les moines sont, par toute l'Europe, les promoteurs au haut Moyen-Age. Cette logique d'un domaine ecclésiastique bénédictin de Marmoutier, puisque cette abbaye tient la cure du Pertus-Chuerin aussi loin qu'on puisse remonter (R Secher - Anatomie, p. 83) conduit à envisager que c'est la fondation ou la refondation du bourg du Pertus-Chuerin, lors de la création de la motte, qui a amené les moines à la Monderie. Enfin, le seigneur fondateur qui leur a fait appel est celui de Barbechat, probablement un prédécesseur de Guillelmus de Baba Cati, avant 1050 où ce bourg existe sous ce nom, et les relations que nous avons détaillé, de ce seigneur et du châtelain de l'Epine-Gaudin plaident, on l'a montré, pour la suzeraineté de ce châtelain.
Cet ensemble d'hypothèses vraisemblables concernant le domaine de la Monderie doit être étayé par autant d'arguments convergents que nous en avons trouvés à la Chapelle Basse-Mer concernant le domaine de Saint-Pierre-ès-Liens, avant de pouvoir passer à l'état de probabilité, voire de certitude, que notre recherche a atteint pour ce bourg, à force d'acharnement, voici deux ans.
3 - La seigneurie de la Sanglère, héritière de celle de Barbechat.
La carte des seigneuries du XVe siècle montre que la superficie de la Sanglère est le double de celle de la Monderie, soit environ 400 hectares. C'est nettement alors la plus étendue des 24 seigneuries de la paroisse comprenant Barbechat et la Chapelle Basse-Mer (R. Secher - Anatomie, p. 183). Son seigneur était donc, au XVe siècle, l'un des plus puissants du pays. Sa forme en losange aux angles pointés vers les points cardinaux semble indiquer qu'elle est plus tardive que la Monderie, pour le peu où cette géométrie est significative. Sa terminaison -ère indique pourtant, comme celle en -erie, le dernier tiers du XIe et le XIIe siècles. Cela signifie qu'elle peut être plus ancienne, mais non plus récente. Elle inclut le site du Pertus-Chuerin, de sa motte déjà à l'abandon, ou qui perd au moins sa qualité de siège seigneurial, de son bourg, de son église ce qui la désigne comme l'héritière de la seigneurie de Barbechat, au-delà du changement de nom.
La seigneurie de la Sanglère inclut aussi le Bois-Guillet, hameau successeur de Barbechat après l'abandon du bourg du Pertus-Chuerin et aujourd'hui centre communal. Comme le Pertus-Chuerin, le Bois-Guillet se trouvait au XVe siècle en lisière de forêt, au Nord-Est du lieu-dit la Sanglère. Pourquoi est-ce le Bois-Guillet qui est devenu le centre de l'habitat de l'ancienne paroisse, et non pas d'autres hameaux qui paraissent aussi bien placés notamment ceux qu'on atteint par le plateau, sans franchir de ruisseaux, comme l'exige le chemin du Bois-Guillet ? Sont dans ce cas la Sanglère, le Bois-Jahan, la Petite-Graholière et la Grande-Graholière, les Perrines étant plus éloignées. L'explication peut tenir à la préexistence d'un hameau au Bois-Guillet avant même la création de l'oppidum (voir VII, 6). Cette hypothèse ne fait que repousser dans le passé l'explication. Celle-ci peut tenir aussi à la volonté seigneuriale de ne pas disperser la migration désertant le Pertus-Chuerin. Et surtout, pourquoi le bourg du Pertus-Chuerin a-t-il été abandonné ? La cause principale semble l'absence d'intérêt militaire malgré sa position frontalière du XIIe au XVIe siècles. Les marches séparantes, s'étendent ici entre la Divate et l'Evre. Elles sont avantagères à l'Anjou, c'est-à-dire que le droit de justice appartenait à un seigneur angevin, mais elles dépendaient du diocèse de Nantes (P. Jouet et K. Delorme : Atlas historique des pays et territoires de Bretagne, p. 102). Ce système des marches a joué son rôle pacificateur. Mnémosyne, toujours sensible au traumatisme des batailles, n'en garde pas trace ici. Le mariage d'Anne de Bretagne et du roi Charles VIII en 1491 conforte ensuite l'apaisement de la frontière.
La seigneurie de la Sanglère n'avait nul besoin du château à motte, démodé et délabré par le temps. Au XIIe siècle, Jean de Barbechat (R. Secher - Anatomie, p. 107) dispose d'une seigneurie qui s'appelle encore Barbechat, mais ne tardera guère à s'appeler la Sanglère en changeant de centre.
Pourtant, l'église Sainte-Magdeleine est reconstruite ou fortement restaurée au XIIIe siècle dans le nouveau style gothique (Ibid., p. 152) ce qui laisse penser qu'un bourg actif existe encore à ce moment au Pertus-Chuerin malgré l'attraction du Bois-Guillet. Mais dès le début du XVIe siècle, avant 1520, Barbechat cesse d'être une paroisse indépendante et se fond dans celle de la Chapelle Basse-Mer dont elle devient la “fillette” (Ibid., p. 86). Cela montre le dynamisme de la Chapelle Basse-Mer qui tient sans doute aussi à la destruction de la forteresse de l'Epine-Gaudin en 1420. Mais cela dénote surtout l'affaiblissement du bourg du Pertus-Chuerin.
En 1683, Dom Binet mène l'enquête préalable à la translation de l'église Sainte-Magdeleine du Pertus-Chuerin au Bois-Guillet, réalisée en 1769 (Ibid, p. 153). Depuis la Gaule indépendante au moins, c'est la première fois que le Pertus-Chuerin perd son sanctuaire. Le site est mort.
4 - Le toponyme : Sanglère révèle tardivement un sens inespéré.
Sanglère vient de : sangle. « Sangle, nom féminin, variante graphique de cengle, attesté dans la Chanson de Roland (1080), puis sengle au XIIe s, est issu du latin cingula “ceinture, ceinturon”, “sangle” (aussi cingulum, cingillum et, dans les gloses, cingella). Le mot dérive de cingere “ceindre”, par extension “entourer, envelopper” et “écorcer” (→ ceindre).
Le mot désigne une bande qui passe sous le ventre d'une bête de somme pour assujettir un bât, une selle — Il est employé par analogie (v. 1130) pour “enceinte d'une ville” — Depuis le XVIIe siècle, sangle se dit par extension pour bande de cuir, de tissu, etc. » (DHLF, p. 1873).
Ce sens d'“enceinte de ville” montre que le toponyme la Sanglère ne décrit pas la maison forte de cette seigneurie et qu'elle n'est pas non plus un hasard, car pourquoi se contenter du hasard quand une nécessité s'impose ? — Sanglère, lieu de l'enceinte, est une interprétation transparente de Barbechat, déjà étudié : le gaulois : barros (tête, hauteur) et le gaulois : briga (citadelle). C'est-ce dernier mot : briga que traduit Sanglère. D'ailleurs, 1130 précise très bien la période du second tiers du XI siècle et du XIIe siècle de la terminaison - ère - de Sanglère. Le nom de Sanglère date ainsi du premier tiers du XIIe siècle, avant 1130, le déplacement du centre de la seigneurie de Barbechat et son changement de nom. Il n'est pas utile de spéculer sur les conditions qui ont permis ce changement : avait-on seulement alors la mémoire d'un oppidum gaulois ou même des vestiges subsistaient-ils alors ?
Insistons : sangle est un mot précis qui ne se contente pas comme citadelle de désigner « une petite cité (avant 1363) » (DHLF, p. 426) mais bien sa fortification continue, entourant, enveloppant cette cité comme l'écorce ceint le tronc de l'arbre, la bande de cuir de la ventrière ceint la bête et le baudrier, qui supporte l'épée, ceint l'homme. Si nous doutions que Barbechat ait été un oppidum, voici l'aveu tardif que nous avons en vain cherché (voir V, 7) qu'il avait bien une enceinte, évidemment sans traces apparentes aujourd'hui, mais encore au moins en mémoire au début du XIIe siècle.
Bien entendu le château à motte avait eu son enceinte et la nouvelle “maison-forte” de la Sanglère en avait peut-être une, mais ce château à motte était alors abandonné et on n'avait aucune raison de le valoriser, en l'évoquant par le nom de Sanglère dont les variantes sont rares : le mot ne se trouve pas dans le “Dictionnaire des noms de lieux en France” de Dauzat. On est donc fondé à penser qu'il désigne au XIIe siècle une réalité qui n'a rien de banale, et qu'il s'agit de cette enceinte de l'oppidum sur le territoire de la seigneurie de la Sanglère.
N'objectons pas l'existence de la seigneurie peu éloignée de la Sangle : elle a toutes les chances d'être, à son origine, une mouvance de la Sanglère et a repris son nom en le simplifiant, comme une étiquette à un vêtement ou à un objet d'usage.
Voici un exemple éclairant : « Murviel-lès-Montpellier (Hérault, Muro Vetulo 1031-60) doit son nom aux ruines de l'oppidum situé au lieu-dit le Château ou le Castellas. » (S. Gendron - L'origine des noms de lieux en France, p. 140). On a ici révélation, par un nom en usage en 1050, de l'existence d'un oppidum. Plus tardivement le toponyme : la Sanglère fait la même révélation.
Voici un dernier élément de réflexion qui concerne le lieu-dit la Sangle à l'Ouest du bourg de Bouguenais, près de Nantes, sur un site d'éperon resté sauvage, magnifique et très impressionnant qui domine d'une trentaine de mètres la Grande Vallée de Bouguenais.
« Aux lieux-dits la Basse-Motte et la Motte-Bougon, un site d'éperon dominant la Loire, barré à l'est par une levée de terre (lieu-dit l'Arsangle, ou la Sangle) qui ne doit sans doute dater que de l'époque féodale, comme la motte elle-même ; de 1853 à 1856 Van Iseghem a dégagé sur le bord de la Loire un « beau mur » destiné à soutenir une terrasse (longueur vue : 18,30 m ; largeur 1,30 m à 0,80 m)… Peut-être une villa avec des thermes. Mais en tout cas, il faut rejeter l'hypothèse d'un camp romain. » (Michel Provost - Carte archéologique de la Gaule - La Loire-Atlantique, p. 63).
Ce toponyme la Sangle ne désigne pas l'enceinte de la Motte, désignée par deux autres toponymes. Il y a donc autre chose qu'une motte dans laquelle Léon Maître a vu le “fort de Bégon” (Xe s.). La levée de terre et deux murs font penser à une enceinte. L'hypothèse d'un camp romain a été écartée. Celle d'un oppidum n'est ni écartée, ni confirmée. Nous nous permettons de la croire probable, après prospection du site organisé de façon très comparable au site du Pertus-Chuerin et lecture des comptes-rendus fournis, notamment celui de Michel Tessier qui cite l'étude de Lionel Pirault (Bilan scientifique - SRA, 1999) et écrit : « La motte sur l'éperon de la Sangle… est large de 55 mètres, bordée de fossés larges de 8 mètres, profonds de 4 mètres à l'ouest et à l'est, ce dernier la sépare de la basse cour dont les traces de remparts sont reconnues sur près de 600 mètres. L'espace ainsi protégé atteint environ 6 hectares. » (Michel Tessier Le Pays-des-Retz au Moyen-Age, p. 28).
La supériorité des données à Barbechat reste la datation du second Age du fer du matériel livré par les fouilles du tumulus.
Remarque : Un nom comme la Sanglère, et bien entendu ceux de Barbechat, de l'Epine-Gaudin et mille autres, montrent tout l'intérêt de la conservation des toponymes patrimoniaux. Quelle compréhension pourra-t-on avoir de ce patrimoine difficile à comprendre quand les noms des petits oiseaux : les mésanges, les fauvettes et les rossignols, et ceux des petites fleurs : la pâquerette, le bouton d'or et les saulzaies les auront remplacés ? Ni l'amour de la nature ni la conscience écologique n'ont à faire avec la niaiserie démagogique.
Conclusion
Le site du Pertus-Chuerin présente un ensemble cohérent par son relief, son archéologie et sa toponymie révélatrice.
Avant l'Antiquité celtique, le site est repéré par le défilé rocheux, de gneiss dur où la Divate passe entre des falaises (Pertus-Chuerin). Les nombreuses haches de pierre polie trouvées sur le plateau ou dans les vallées montrent que le site est occupé depuis le néolithique (4000 avant J-C.)
Le gaulois : Barros-briga qui a donné : Barbechat désigne : la Citadelle de la hauteur, c'est-à-dire ce qu'on appelle un oppidum celtique, ce qu'a confirmé la fouille de 1868, datant le tumulus et son mobilier du second Age du Fer (la Tène 500-0 avant J-C.). Ce monument en pierre locale qui a facilité sa préservation a conservé à la fois un lieu de sacrifice par le feu (plusieurs couches de cendres, des tessons de poteries) et une sépulture (os humains). Ce tumulus est le seul vestige d'une nécropole disparue dont les pierres ont été réemployées.
Cette nécropole marquait la porte d'accès depuis la Divate à l'oppidum qui occupait la plus grande partie du plateau, un éperon élevé, entouré sur trois côtés de vallées profondes, et fermé par un fossé, au Sud-Ouest, où subsistent les vestiges de deux courtes vallées, en tenaille. Une enceinte, que révèle le nom de la Sanglère mais dont on ne peut déterminer les matériaux, entourait cet oppidum.
Les grottes, liées aux roches dures, ont pu participer au caractère sacré de l'oppidum, comme la Divate (Petite déesse). Les quatre mamelons du plateau semblent pouvoir se comprendre comme des vestiges d'autels de sacrifices qu'on trouve généralement sur les oppida, plutôt que comme ceux d'habitations qui n'auraient pas cette forme.
Au Xe siècle la motte qui réutilise le tumulus et le préserve, implique un château à motte de Barba Cati. L'église Sainte-Magdeleine a dû être construite sur l'ancien emplacement d'un lieu de culte et dans la basse-cour de ce château, tout à côté de sa motte. Elle a permis très tôt à Barbechat, avant l'Epine-Gaudin, puis la Chapelle Basse-Mer, de devenir une paroisse dissociée de celle du Loroux-Bottereau. Cette église a été reconstruite en place au XIIIe siècle en style gothique. Il en reste des ruines. La paroisse était desservie par les moines bénédictins de l'abbaye de Marmoutier, établis dans le voisinage à Champtoceaux, l'Epine-Gaudin et la Chapelle Basse-Mer et au domaine de la Monderie au XIIe siècle et probablement dès le Xe siècle où ils initient des défrichements, les premiers du terroir.
Le cimetière et l'étang marquent les limites Ouest du bourg médiéval, construit d'abord dans la basse-cour du château à motte. Le chemin qui les relie à l'église et à la motte est un vestige de sa rue principale. Le chemin d'accès des Frêches et de la Petite Graholière fournit la liaison avec la voie romaine Vertou-Champtoceaux établie au VIe, voire dès la fin du IIIe siècle, dans le cadre du vaste programme de défense de la Gaule atlantique contre les pirates francs. Cet accès, à l'opposé de la Divate, traduit une défense sur le front de la rivière, à l'Est.
Au XIIe siècle, le nom de Jean de Barbechat atteste que Barbechat demeure le siège de la seigneurie. Mais, dès le XIIIe siècle, le centre seigneurial se déplace à la Sanglère. Le Château à motte périclite et le site est gagné par la forêt et la friche. Les toponymes la Forêt et les Frêches en gardent trace. Le bourg de Barbechat au Pertus-Chuerin se dépeuple au profit du hameau du Bois-Guillet, au nom hérité du seigneur Guillelmus de Barba Cati, cité en 1050 dans une charte de Marmoutier.
Au début du XVIe siècle, avant 1520, Barbechat cesse d'être une paroisse autonome et est rattaché à celle de la Chapelle Basse-Mer. En 1769, après l'avoir beaucoup différé, la décision, envisagée dès l'enquête de Dom Binet en 1683, est enfin prise de la translation de l'église Sainte-Magdeleine au Bois-Guillet, désormais dénommé Barbechat, qui devient en 1868 le centre d'une commune indépendante.
En 1868 également, le tumulus est fouillé par Fortuné Parenteau qui révèle sa nature oubliée de tombeau celte du second Age du Fer. A la fin du XXe siècle, une plaque informative est apposée sur les ruines de l'église Sainte-Magdeleine.
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