Le moulin de Trompe-Souris
Ce moulin, ou plutôt ce qu’il en reste est une énigme pour beaucoup de personnes...
Texte de Gérard Jousseaume
Le texte qui suit est destiné à éclairer l’histoire de ce moulin que l’on appelle aujourd’hui moulin de « Trompe-Souris ».
Il est surprenant de voir un moulin à vent construit sur le bord de la Loire. Les moulins à vent sont en majorité construits sur une butte. L’endroit est en effet légèrement butté mais il a le pied dans l’eau lors des grandes crues. Le propriétaire s’est sans doute inspiré de l’expérience du moulin de l’Ile situé un kilomètre en amont, également en bordure du fleuve et qui date de 1512. Dans son livre Moulins de Bretagne Maurice Chassain explique que le moulin tournait parfaitement grâce au flux d’air qui suit le fleuve, ce vent d’ouest qui permettait aussi à la marine à voile de remonter jusqu’à Orléans. Lorsque le vent venait de l’est, le moulin orientait ses ailes et pouvait continuer à fonctionner, alors que les bateaux à voiles restaient au port, en attendant que le vent tourne.
Les restes du moulin en 2016. Les dépendances et la maison sont détruites depuis de nombreuses années. Derrière les arbres, passe la Loire, et sur le coteau on aperçoit le bourg de Mauves.
Photo carte postale de 1902. On aperçoit le moulin ses dépendances et la maison d’habitation. Il n’y a pas d’ailes à la tour.
Construit à partir de 1884, ce moulin n’a, semble-t-il, jamais été fini et n’a sans doute jamais fonctionné. En effet sur la photo carte postale datée de 1902, il manque les ailes au moulin. Aurait-il fonctionné avec une autre énergie que le vent ? Une découverte récente, au village de Saint-Simon, permet l’hypothèse de la vapeur, comme autre énergie possible.
En effet aux anciennes forges de Saint-Simon se trouve un élément d’une chaudière à vapeur qui provient du moulin de Trompe-Souris. Ce sont les forgerons de Saint-Simon, qui dans les années 1920 ont fait l’acquisition pour en faire un foyer de forge.
Cette découverte ne permet pas d’affirmer que le moulin a fonctionné à la vapeur. Néanmoins le propriétaire avait acquis une chaudière à vapeur, sans doute pour ne pas dépendre seulement du vent comme source d’énergie. L’absence d’ailes ne permet donc pas d’affirmer qu’aucune farine n’est sortie des meules du moulin. Même sans ailes il a pu faire de la farine.
Ajout au texte de Gérard Jousseaume :
Outre l'aspect romantique de cette carte postale, on croit voir de la fumée s'échapper de la cheminée.
Plus précisément, un mélange de fumée et de vapeur, ce qui laisse entendre que par ce clair de lune au bord de l'eau, une machine à vapeur fait tourner... les meules du moulin !
Le moulin aurait ainsi été construit pour utiliser l'énergie éolienne, mais l'arrivée de la mécanisation à vapeur aura bouleversé les projets du meunier. Bien souvent dans ce genre de cas (vapeur ou électrification des installations), le corps du moulin était transformé en silo à grain.
Pierre S.
Pourquoi une construction à cet endroit
On peut s’interroger sur les motivations qui poussèrent le propriétaire du terrain à construire un moulin. Nous sommes à la fin du 19è siècle et déjà beaucoup de moulins à vent ont cessé leur activité. Le lieu est inondable à chaque crue de la Loire, et la farine ne se conserve pas dans un endroit humide.
La construction du pont de Mauves, en 1882, a été sans aucun doute déterminante pour choisir l’endroit de construction du moulin. En effet la parcelle était d’accès difficile, voir impossible, en période de crues du fleuve.
Cette construction du pont permet une liaison directe vers la rive droite du fleuve , l’accès à Mauves et sa gare où le chemin de fer passe depuis 1852. Vers le sud, la construction du petit pont au-dessus la boire de la Pinsonnière permet la liaison avec la levée de la Divatte (construite depuis 1856) donc l’accès vers l’est et le Maine-et-Loire et vers l’ouest et Nantes. La construction d’une route dans l’axe du pont permet la liaison directe avec le bourg de la Chapelle-Basse-Mer.
Le choix de l’emplacement du moulin n’est qu’une partie de son l’histoire. Henri Mosset, auteur bien connu de la Chapelle-Basse-Mer, est parvenu il y a plus de vingt ans, à faire la lumière sur l’histoire de ce moulin en interrogeant la famille des propriétaires. L’acte d’achat du moulin et de la terre qui l’entoure, établi en l’étude de Maître Boislève, notaire à la Chapelle Basse-Mer, permet de reconstituer le scénario de cette construction qui commence en 1883 et se termine en décembre 1913.
Le 25 septembre 1883, Pierre Emeriau, habitant la Chabottière en la Chapelle-Basse-Mer, recueille dans la succession de son frère André Emeriau, décédé en son domicile au village des Fosses, en la Chapelle-Basse-Mer, le terrain nu de l’Ile Barre où il va commencer sans doute à construire le moulin.
Moins d’un an plus tard, le 21 août 1884, ce Pierre Emeriau fait donation du dit terrain à sa fille Louise, mariée à un certain Michel Jousseaume, minotier. Une partie des constructions sont déjà faites.
Les 22 et 23 février 1894, presque dix ans plus tard, les époux Jousseaume vendent leur minoterie, elle n’est pas en ruine, mais on ne sait pas si elle a fonctionné, à Mme Benoit de Paris. Celle-ci lègue par héritage, le 1er avril 1903 le moulin à ses deux fils, Pierre et Jean Albert Benoit. Ceux-ci se désintéressent totalement du moulin.
Sans entretien depuis de nombreuses années, la ruine commence et le 21 décembre 1913 les deux fils Benoit le vendent à Julien Pineau, habitant de la Chapelle-Basse-Mer.
Celui-ci était sans aucun doute plus intéressé par la parcelle de terre pour la cultiver, que par le moulin et ses dépendances. Cette terre sablonneuse était propice à la culture de l’asperge, même si en hiver les crues de la Loire pouvaient la recouvrir. Le moulin et ses dépendances ne sont pas entretenus. L’endroit est isolé et au fil des ans la propriété est vandalisée. La maison et le corps du bâtiment tombent en ruines.
Vue aérienne du moulin vers 1960. On aperçoit les dépendances et la maison d’habitation en partie détruites
La tour résiste, mais en août 1944 les Américains libèrent la région. Ils sont sur la rive droite de la Loire et à partir des hauteurs de Mauves, ils tirent au canon sur la rive gauche où les allemands résistent. Prenant la tour du moulin pour un poste d’observation allemand, le tir d’un obus américain éventre le sommet où l’on peut voir, encore aujourd’hui, un énorme trou.
Sommet de la tour éventré par un obus
Dans les années suivantes, il ne reste que les murs de la maison et des bâtiments attenants. Les pierres sont retirées et l’emplacement est remis en culture. Aujourd’hui la tour résiste, dernier vestige d’un moulin qui fait partie du paysage de la commune.
Le moulin a-t-il fonctionné ? Impossible de répondre à cette question car on ne dispose pas de document ni de témoignages enregistrés pour lever l’énigme. Sur la photo de 1902, le moulin n’a pas d’ailes ; alors quelle était la force motrice ? L’hypothèse de la vapeur ne peut être écartée, mais il est probable que ce moulin n’a jamais été mis en service et qu’aucune céréale n’y a été stockée. Trompées par l’absence de nourriture, les souris n’y sont jamais venues. C’est pourquoi que les habitants du secteur ont donné au moulin le nom de « Trompe Souris » Construit sur l’Ile Barre, il n’a, me semble-t-il, jamais été appelé moulin de l’Ile Barre. Alors la version de « Trompe Souris » me semble plausible.
Ce joli nom est utilisé par un brasseur de la commune pour une bière de sa fabrication, ce qui contribue à rendre célèbre ce moulin qui aujourd’hui fait partie du patrimoine communal.
Cette tour de moulin de 130 ans est relativement jeune ce qui la classe la plus jeune de tous les moulins construits à la Chapelle Basse-Mer. Son emplacement en bord de Loire et de la route du pont de Mauves, la rend visible en un clin d’œil. Aujourd’hui entourée de culture maraîchère, rien de la protège d’une ruine qui a déjà commencé au sommet. Il serait dommage pour le secteur, pour la commune, que « Trompe Souris » disparaisse du paysage.
Gérard Jousseaume
Cette carte postale des années 60 n'est tout à fait pas hors sujet, elle montre en effet un aspect disparu de nos campagnes et bords de mer : le camping sauvage. Ici juste devant le moulin de Trompe-Souris (non cadré dans la prise de vue), accès direct à la plage !
2024 créé par Pierre Gallon et Pierre Saunière contact : patrimoinechapelain@gmail.com