Michelle Goalec
Evocation d'un complément d'activité pour le commerce de la Boire d'Anjou : un terrain de camping
Le terrain de camping de la boire d'Anjou
La prairie
C’est l’histoire d’une prairie des bords de Loire, située aux confins de la Bretagne et de l’Anjou. Une terre reçue en héritage, acquise sans doute par de lointains ancêtres, résidant au temps de la marine de Loire, à proximité du fleuve et de l’embouchure la rivière la Divatte, au Rez-Courant.
Une prairie d’un demi-hectare, bordée de frênes têtards, autrefois boisée de grands peupliers, régulièrement inondée en ses points bas, même par de faibles crues.
Une prairie entretenue, fauchée à la fin du printemps, sans usage agricole autre que la récolte du foin pour les animaux et l’émondage des arbres pour le bois de chauffage, à mon souvenir, jusqu’aux années 1960.
Le village de la Boire d’Anjou est éloigné du bourg de la Chapelle Basse-Mer et bien plus proche de Mauves, de la Varenne en Maine-et-Loire et même du Cellier à Clermont ou à Vendel par bateau.
La prairie
Le début du tourisme
Après la Seconde Guerre Mondiale, dans les années 1950, peu de familles ont une voiture. Les nantais qui prennent des vacances restent dans les limites, ou presque, du département et apprécient les bords de Loire. Nombreux sont ceux qui trouvent une location saisonnière dans les villages situés près de la" Levée de la Divatte à Saint Sébastien". Ils y reviennent chaque année : à cette époque, il y a de bons coins de pêches, de grandes plages de sable fin, de l’air pur pour les enfants ; des amitiés se nouent avec les habitants de la Vallée.
Certains, comme Léon D. grand pêcheur à la ligne, ne veut pas quitter le village et s’y construit une maison de vacances dans laquelle actuellement, une de ses filles de 82 ans, vient passer l’été. Un autre Léon achète plus tard une maison pour sa retraite, face au café.
Puis, d’autres expérimentent le camping ! Camping sauvage d’abord, près du Moulin de Trompe -Souris et sur les plages de Mauves. (voir photo un peu plus bas)
A la Boire d’Anjou, quelques téméraires (Guy, Serge et sans doute quelques autres) venus de Nantes en moto, s’installent au bord de l’eau, sur le terrain communal et plantent leur canadienne pour quelques jours. Puis ils reviennent, prennent contact avec les patrons du café.
Il n’y a pas de terrain aménagé, ils se débrouillent, pêchent, se baignent, mangent autour d’un feu de camp, s’amusent. Un soir, c’est un petit feu d’artifice qui éclaire les eaux de la boire.
D’autres arrivent avec une caravane …C’est évident, il faut mettre la prairie à la disposition des personnes qui souhaitent camper ici, près du café-épicerie-essence. Mon père prend alors contact avec l’Association" Camping Club de France".
Le terrain de camping
Un propriétaire peut mettre un terrain à disposition pour le camping sous certaines conditions. En 1960, il suffira d’un point d’eau et de toilettes. Il y a un quota de personnes à ne pas dépasser en fonction de la superficie du terrain. Je n’ai pas retrouvé de documents à ce sujet dans les archives familiales.
C’est risqué mais c’est encore possible pour quelques décennies.
Une pompe à eau, manuelle, est installée contre un arbre, une cabane en tôle, dissimulée sous le feuillage sert de toilettes. La prairie est vaste, on peut choisir son emplacement, gratuitement, de préférence à l’ombre.
Au début, le camping sauvage s'installe près du moulin de Trompe-Souris, ainsi que sur les plages de Mauves
La pancarte du camping, ou ce qu'il en reste...
Le terrain est agréé : la pancarte clouée alors sur un frêne en témoigne, elle a été dévorée au fil du temps par la croissance de l’arbre.
Vive les vacances !
Venue de Vertou avec une caravane, la famille Palombo s’installe dans la prairie. Ils sont les premiers à rester assez durablement, aux beaux jours, pour nouer des relations d’amitiés avec mes parents. Je me souviens très bien d’eux et de leurs grandes filles, Paulette et Emilienne… Un autre monde mais tellement chaleureux et sympathique.
Mr Palombo est marchand de ferraille à Vertou. (En 1961, mes parents et moi sommes allés chez eux voir à la télévision un évènement très important : le premier vol spatial de Gagarine autour de la terre).
Les jeunes filles ensuite mariées sont revenues quelquefois voir mes parents.
Entre 1960 et 1985, pour les trois mois d’été, des familles modestes de Nantes, informées sans doute de ce terrain de camping gratuit, s’installent et reviennent chaque année. Les femmes restent sur place, les hommes qui ont un travail repartent vers Nantes pour la journée ou la semaine. Ce sont souvent des familles nombreuses avec de très jeunes enfants qu’on voit grandir et devenir adultes.
Pas de caravane au départ, mais des toiles de tente ou canadiennes. Certains campeurs n’ont pas de voitures, des amis les amènent, quelquefois ils profitent du passage du car Citroën pour apporter leur matériel. Matériel qui reste quelquefois stocké à la fin de l’été dans une remise, au jardin, derrière le café, pour l’année suivante. C’est bien pratique !
Sentier bordant la Loire avant 1960
Les enfants ont l’eau, la plage, l’espace.
Les mois d’été sont agréables sans risque d’intempéries majeures dans un cadre resté intact depuis plusieurs décennies.
Au fil du temps chacun a ses habitudes, d’autres familles arrivent et certains étés, le pré est bien rempli ! C’est un petit village sur le site de la Boire d’Anjou.
Mes parents, commerçants, sont au cœur de ce village composé de personnes qu’ils apprennent à connaitre. Ce sont des clients, à l’épicerie, au café, à la station essence.
Le client est roi mais le client parle et se confie, le client, comme chacun, a ses qualités, ses défauts, ses problèmes. Il faut assez peu de temps pour que des relations de confiance et d’amitiés se nouent de part et d’autre.
Il aurait fallu tenir un journal de bord pour raconter certains évènements de ces étés-là !
Quatre familles passent régulièrement les mois d’été au camping.
La famille Bodegel : Jeannine et Roger, avec quelques enfants en bas âge. (Roger va brutalement décéder un jour d’été suite à un accident de travail sur un chantier à Nantes, un épisode tragique pour sa femme et ses enfants que tous ont soutenu de leur mieux.)
La famille Mollié : une grande famille avec de très jeunes enfants, quelquefois un nourrisson.
La famille Josse : (Pompidou) un couple et deux garçons.
La famille Lelaidier, un peu plus tard, avec Suzanne, la grand’mère, et aussi plusieurs enfants.
Et d’autres, plus irrégulièrement, amis venus aussi de Nantes.
Vers 1960 en été
Pour les enfants, il suffit de sortir du pré pour accéder aux plaisirs de la baignade ou de la navigation dans ce bras d’eau sans danger.
De grandes étendues de sable fin, des bosquets de jeunes peupliers et l’on se construit des cabanes pour rêver….
Une tige de bambou, une ficelle et un hameçon, et les voilà prêts pour la pêche : les boërs sont nombreux, les poissons-chats, quelques anguilles et autres petits poissons blancs. Il y aura de quoi manger ce soir !
Et de l’espace pour courir, grimper aux arbres, jouer au ballon.
Pour les parents, c’est sûrement plus difficile, il faut nourrir tous ces petits et assurer les tâches ménagères avec un confort moindre et surtout, un budget limité. Un carnet attend, dans le tiroir de l’épicerie, les versements des allocations pour des jours meilleurs.
La vie dans cette prairie est une vie en communauté : on s’entr’aide, on se supporte, quelquefois on se fâche et souvent à cause des conflits entre enfants. Mais, à mon souvenir, pas de drames.
Il faut aussi occuper les journées sur place, avec un transistor sans doute mais sans télévision, sans téléphone, seule une cabine publique est à disposition au café pour les appels d’urgence ou autres. Les communications sont tarifées en fonction de la distance et de la durée.
Alors, le matin, il est bon de faire quelques courses à l’épicerie, lait, pain, journal, légumes, fruits. Le passage des marchands ambulants permet de se fournir en boucherie, charcuterie, poisson.
Avant midi, en famille, c’est l’heure de l’apéro ! Limonade, diabolo pour les enfants, carafe de Rivaya ou Santa-Laura pour les adultes, chopine ou bière. Les familles se regroupent autour des tables, sur la terrasse ou à l’intérieur du café, ça peut durer un certain temps !
Au fil du temps, pour les hommes surtout, des habitudes se prennent ; un espace est propice au jeu de palet, face au café ; quelques acharnés de la belote s’installent sur la terrasse pour l’après-midi, avec mon grand-père pour d’interminables parties.
Ces activités donnent chaud et soif : ça fait marcher le commerce.
Il n’est pas rare que dans la soirée les femmes et les enfants rejoignent les hommes pour l’apéro du soir, que quelques-uns se mettent à chanter et demandent à mon père de sortir son accordéon : animation et ambiance assurées.
En été, on cherche l'ombre... Une vue du camping avec Dauphine, 404 et Dyna Panhard, ce sont bien les années 60
Les occupants du camping ne sont pas les seuls clients du commerce. Pendant les mois d’été, la "levée de la Divatte" est une route touristique, la station-essence est la bienvenue, on ose s’assoir en famille à la terrasse du café pour un rafraichissement, acheter un paquet de cigarettes.
Certains dimanches après-midi, il faut s’activer pour servir, toutes les tables sont occupées. Des pêcheurs à la ligne, résidant dans des locations proches, s’arrêtent régulièrement prendre un verre, ou plus, avant midi.
D’autres, qui travaillent, font une halte en rentrant le soir vers la Varenne ou Champtoceaux.
Dans le village, des maisons sont louées ; certains y demeurent à l’année, d’autres viennent passer l’été. Ils fréquentent aussi le café et l’épicerie.
Ce commerce est, comme tout débit de boissons, un endroit où se rencontrent des gens de tous horizons, de toutes conditions sociales, des personnalités différentes, souvent des habitués, quelquefois des gens de passage. Il faut s’adapter, c’est, malgré quelques débordements dus aux excès de consommation, une façon enrichissante de s’ouvrir sur la diversité de la nature humaine, d’accueillir les clients qui partagent un moment de vie avec d’autres.
Des amitiés sincères et durables se nouent entre mes parents et ces familles dont on connaît les joies, les peines, les difficultés et réciproquement.
Le terrain de camping n’est pas à l’abri des crues, il est régulièrement inondé en hiver et même quelquefois en Juin, mais heureusement jamais en été pendant ces années-là.
Innondation en janvier 2004
Février 2016
Les enfants ont grandi, le paysage change
De 1970 à 1980, la vie quotidienne s’améliore lentement grâce à l’arrivée du service d’eau. Il n’y a encore qu’une pompe sur le terrain mais des toilettes correctes sont mises à dispositions des campeurs et des clients dans un local au rez-de-jardin du café, avec un point d’eau. Beaucoup possèdent une voiture, de grands centres commerciaux ouvrent à la périphérie de Nantes .
Après le remembrement en 1972, la vallée se transforme, les parcelles sont dépouillées de leur haies et arbustes, la vallée se transforme, se prépare à la culture maraîchère à grande échelle : il faut du sable. C’est la démesure : en 1976, on a extrait plus de 3.000.000 de tonnes de sable dans la Loire entre Ancenis et Nantes. Une trémie s’installe à la Boire d’Anjou.
L’ancien quai d’accostage (photo p.4) est détruit, le paysage est abîmé, saccagé par d’énormes engins qui sucent le sable de la boire et d’une partie de l’île Moron, par le passage des camions, par les péniches sablières, dont certaines resteront jusqu’en 2010, 20 ans après l’arrêt de l’extraction, à polluer les eaux autrefois si tranquilles.
Ces photos, prises en hiver lors de la grande crue de 1982, témoignent de l’activité sablière de cette période
1980 - Vingt années sont passées depuis l’arrivée des premiers campeurs.
Les enfants devenus adolescents ou adultes. Les copains, copines viennent de Nantes les rejoindre pour le week-end, c’est une autre ambiance, le temps des amourettes, des projets de mariages. Le cadre familial éclate, il faut veiller aux fréquentations.
Cependant la prairie reste occupée chaque année. A cette époque, je suis mariée, j’ai des enfants ; ce sont mes filles qui viennent, pendant l’été aider mes parents qui vieillissent. Elles ont bien connu toutes les familles et ont noué des relations avec les jeunes en vacances et bien sûr, elles ne m’ont pas tout raconté !
Ces vacances heureuses au bord de la Loire auraient pu perdurer. Mes parents ont vieilli, ils pensent à leur retraite. Un projet plus ambitieux, répondant à des normes sanitaires plus exigeantes n’est plus possible à ce moment, à cet endroit. Mon père décède en 1987 et ma mère qui conserve le commerce une année, prend sa retraite l’année suivante.
C’est la fin du terrain de camping de la Boire d’Anjou.
Chevaux et poneys entretiennent naturellement l'espace
Quelques années plus tôt, entre 1960 et 1965, sur ce même terrain, l’Association des anciens soldats d’Algérie organisait une kermesse en Septembre avant la rentrée des classes, aves stands et bal sur parquet. Un évènement qui attirait beaucoup de monde, cette fois des gens de la commune. Je m’en souviens très bien.
Quelques années plus tard, après la fermeture du camping, confrontée à l’entretien de ce grand terrain, ma mère a contacté un propriétaire de chevaux. La prairie est ainsi tondue et les arbres émondés en temps voulu.
Revenue au pays, j’ai également, pendant un certain temps, pour les mêmes raisons, proposé ce pré pour des poneys.
L’itinéraire de la "Loire à vélo" longe cette prairie.
Il me suffit de traverser la "levée de la Divatte "pour y accéder et apprécier, par tous les temps, sans trop de nostalgie du passé, les jolis paysages, la faune et la flore, la douceur angevine et le calme de ce petit coin de terre au bord du fleuve.
Michelle Gaudron - Goalec
2024 créé par Pierre Gallon et Pierre Saunière contact : patrimoinechapelain@gmail.com