La Loire, histoire des levées et crues
« Histoire des levées de la Loire » (Roger Dion)
Résumé de Yves Gasztowtt
Cet ouvrage fait référence. Le voici très résumé.
- Dès qu’ils s’intéressent aux terres de la vallée, les riverains cherchent à les protéger ainsi que le chemin de rive qui court sur le bourrelet naturel de rive, des débordements localisés, intempestifs et puissants qui créent des fosses et des boires et risquent même de modifier et détourner le chenal de navigation du fleuve. Traditionnellement les riverains élèvent des « turcies » - mot angevin - pour égaliser les débordements en nappes régulières les plus minces possibles pour qu’elles ne causent pas de dégât. Ces turcies protectrices sont faites en terre et en branchages comme le torchis des maisons.
- En 821, un capitulaire de Louis le Pieux, fils de Charlemagne évoque le projet d’ « aggeres » de Loire, en Neustrie.
- Au XIIe siècle, Henri II Plantagenêt, roi d’Angleterre et comte d’Anjou établit la première grande levée de 40 km dans la partie d’amont du val d’Authion jusque là occupé par la « Grande forêt de vallée », c’est-à-dire en amont de Saumur, afin de le mettre en valeur. Des « hôtes » transplantés et exonérés d’impôts sont assignés à résider près de la levée pour l’entretenir.
- Au XVe siècle, Louis XI fait étendre et rehausser les turcies de façon presque continue entre Gien et Blois.
- Au XVIe siècle, les bourgeoisies marchandes des villes, soutenues par les mariniers, font endiguer le fleuve étroitement pour qu’il reste en eau à l’étiage, dans son lit et baigne seulement les ports sans divaguer.
- En 1571, Charles IX, inquiet de la faiblesse des levées qui n’avaient pas suffi à contenir les crues exceptionnelles de 1494, 1519, 1527 et 1549, prend la Loire en main et crée un « surintendant des turcies et levées » ayant autorité sur toute la longueur de son cours. En 1629, le Conseil de Louis XIII adopte un programme de six « déchargeoirs pour recevoir les eaux lors des grandes crues » après l’expérience positive de celui de Blois. Ce programme préventif « dont l’exécution aurait… prévenu ou atténué bien des désastres » (R. Dion) n’est pas appliqué. Entre 1660 et sa mort en 1685, Colbert fait empierrer et surélever certains ouvrages faibles, aggravant la situation d’ensemble.
- Les crues de 1707 et 1733 mettent ce système à rude épreuve. Déchargeoirs et levées sont rompus près d’Orléans, de Tours et ailleurs, aussi facilement qu’autrefois. Les villes réclament la suppression des déchargeoirs. La plupart obtiennent satisfaction. On reconstruit les grands ponts emportés ou abîmés d’Amboise, Blois, Orléans, Tours, Saumur et Nevers. Celui de Jargeau ne sera jamais reconstruit. On détruit des îles. On relève des quais. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, on allonge encore les levées. On en construit de nouvelles.
- Après 1815, on néglige l’entretien des levées. Les ingénieurs généraux disparaissent ainsi que leur réflexion globale et la continuité de leurs vues. La crue de 1825, sans grand dégât, devient dans les esprits le type même des plus fortes crues.
- La crue foudroyante du 22 octobre 1846 balaie et détruit la nouvelle ligne de chemin de fer d’Orléans à Tours et toute la gare d’Amboise. Celle de juin 1856 est encore plus terrible. Plus de 160 brèches sont ouvertes. A Jargeau, par exemple, 80 maisons sont détruites. A Saint-Simon, la levée rompt. Plusieurs maisons sont emportées, la boire de la Chabotière surcreusée, toute la vallée de la Divatte inondée.
- L’ingénieur Comoy reçoit la direction des études entreprises sur l’ordre de Napoléon III. Il donne l’explication de l’énigme du « fléau toujours supérieur à lui-même ». « L’exagération de la hauteur des crues à l’intérieur du lit endigué est autre chose que la simple déformation d’un volume regagnant en hauteur ce qu’on lui faisait perdre en largeur… L’effet le plus important de la pression des levées est d’aggraver le caractère torrentiel des crues en augmentant leur débit maximum » (R. Dion). Les rectifications procèdent, depuis Comoy, des découvertes de cet ingénieur. Dès 1862, sont prévus des déchargeoirs et des barrages de retenue sur le bassin supérieur du fleuve. La crue de 1866 rend urgent le programme de 1867, prévoyant 19 déversoirs. Sept seulement étaient réalisés en 1911. Les autres avaient été abandonnés avant la fin du XIXe siècle.
Lieu de rupture de la digue - juin 1856
Un peu d’histoire…
Afin de protéger leurs maisons et leurs terres des caprices de la Loire, les riverains avaient construit, dans les endroits les plus sensibles à la montée des eaux, de petites digues de faible hauteur et submersibles. Elles permettaient de limiter les dégâts mais n‘avaient pas pour but d‘empêcher tout débordement ni de maintenir les terres hors d‘eau. De plus, le financement pour l’entretien de ces petites digues posait de sérieux problèmes.
Une demande pour l’édification d’une digue protectrice sera alors adressée, par les riverains, au consulat (1799-1804) qui refusera.
Quelques années plus tard, en 1817, un premier projet, classé sans suite, sera déposé par un concellois nantais. Modifié une première fois par l’ingénieur Lemierre, en 1841, ce projet sera à nouveau remanié, après la crue dévastatrice de 1843, par les ingénieurs des Ponts et Chaussées Watier et Jégou, afin que la digue soit insubmersible.
Ce n’est que la 3 septembre 1846 que, par ordonnance royale, Louis-Philippe autorisera la création d’un syndicat de communes financé par des taxes perçues sur les terres protégées et par des subventions de l’État. Ainsi sera décidée la construction de la « levée insubmersible sur la rive gauche de la Loire, de la rivière Divatte aux coteaux de Saint-Sébastien sur Loire » destinée à protéger les communes de la Chapelle Basse-Mer, Saint-Julien-de-Concelles et Basse-Goulaine des crues du fleuve.
Ce « syndicat de la Divatte » d’où le nom de la levée, aura pour premier président Monsieur Mériadec Laënnec, maire de la Chapelle Basse-Mer.
Déclarée d’utilité publique, le 22 décembre 1846, la construction de la levée, longue de 15 843 mètres, débutera en mars 1847 au coteau du Port-Moron, pour s’achever, après bien des difficultés en mars 1856.
1856 - Une crue exceptionnelle…
Des pluies importantes, depuis l’automne 1855, provoquent une montée des eaux sur tout le bassin de la Loire.
Le 9 juin 1856, à 19 h 30, la levée de la Divatte ne pouvant plus contenir la poussée des eaux du fleuve, la rupture a lieu à Saint-Simon, face à la Boire de la Chabotière. Cette crue fut exceptionnelle tant par son intensité que par la date où elle se produisit.
Récit de la catastrophe enregistré par Monsieur l’abbé Blais, curé de la Chapelle Basse-Mer…
Au mois de mai…
« On se souviendra longtemps du mois de mai pendant lequel deux crues de la Loire ont eu lieu successivement. Le 18 mai, la Loire était à son plus haut niveau comparable à 1843. Elle a répandu un véritable effroi dans la paroisse. Le poids de l’eau contre la levée était augmenté par un vent violent qui poussait les vagues contre elle et on la voyait prête à se rompre. Le dimanche de la Trinité, on battit le tambour à l’issue de la grand’messe pour appeler tous les hommes à prêter main forte pour parer à la catastrophe. »
Ensuite, récit de la rupture en juin…
« J’ignorais hélas que le mois de juin se rendrait bien plus tristement célèbre par une crue beaucoup plus forte non seulement que la précédente, mais même que celle de 1843 et par la rupture de la levée au village de Saint-Simon, à l’endroit dit le port.
Cette déplorable catastrophe arrive le 9 juin. La Loire avait commencé à croître depuis 8 à 10 jours. Les proportions que prenait, chaque jour, la crue étaient effrayantes. Jusqu’au 8 au soir et le 9 au matin, elle dépassait la crue de 1843 de près d’un pied dans les endroits où la Loire n’était pas resserrée par des digues. Mais entre Saint-Simon et Mauves, une double levée la resserrait. Sa hauteur dépassait de plusieurs pouces celle de 1711. Dans la soirée du lundi 9, elle commençait à décroître. Ce fut aussi le moment de la rupture qui eut lieu vers 19 h 30. Environ 12 maisons d’habitation, autant d’écuries, de fournils ou hangars furent complètement démolis par le courant. Ces pertes furent sans doute bien grandes mais elles furent bien en dessous de ce qui devait naturellement arriver.
La solidarité permit de fournir des pommes de terre et toutes espèces de graines pour ensemencer les terres après l’inondation qui n’avait rien laissé ».
Commentaires…
Sur le tableau des crues inscrites à l’échelle d’Ancenis, le crue de juin 1856 est inférieure de 76 cm à celle de 1711. Dans son récit de cette crue de 1856, l’abbé Blais dit que le niveau dépassait de plusieurs pouces celle de 1711. Ces propos sont confirmés par l’échelle des crues visible sur la façade de la chapelle Saint-Simon où le niveau est supérieur de 27 cm à celle de 1711. Alors pourquoi ?
Le curé Blais donne une explication :
Entre Saint-Simon et Mauves, la Loire est enserrée entre deux digues. La ligne de chemin de fer au nord (elle vient d’être construite) et la levée au sud. Pour le nord, cela ne supprime pas beaucoup de surface d’expansion mais, au sud, c’est 3 600 hectares de vallée et de marais qui se trouvent à l’abri des eaux. Avec cette crue, on teste, grandeur nature, les conséquences de cette construction et puis la digue est récente et la rupture se produit à un endroit fragile : le port, c’est-à-dire un passage des eaux vers la boire de la Chabotière.
Depuis cette date, il y eut beaucoup d’autres crues, notamment celle très dévastatrice de 1910. Depuis les années 1960, les modifications apportées au lit mineur : travaux d’approfondissement de l’estuaire, extraction de sable, suppression des roches de Bellevue, favorisent l’écoulement des eaux et les crues sont inférieures à celle de l’amont.
A l’échelle d’Ancenis, la crue de décembre 1982 est inférieure de 77 cm à celle de 1936. Au Moulin de l’île, sur une échelle gravée dans le mur d’un bâtiment, la différence est de 1,20 m, donc inférieure de 40 cm. Depuis cette date, le phénomène s’est encore accentué et les comparaisons avec l’amont (Saumur, par exemple) seraient encore plus significatives.
Annexe : Les grandes crues de la Loire
Liste des crues supérieures à 6 mètres à l’échelle d’Ancenis.
Date Hauteur
1711 - mars 7,49 m (c’est la plus grande crue connue)
1777 - février 6,05 m
1783 - juillet 7,07 m
1799 - février 6,05 m
1809 - janvier 6,05 m
1819 - mars 6,00 m
1829 - février 6,39 m
1843 - janvier 6,54 m
1844 - mars 6,28 m
1856 - juin 6,73 m
1866 - octobre 6,19 m
1872 - décembre 6,46 m
1879 - janvier 6,34 m
1897 - février 6,15 m
1904 - février 6,42 m
1910 - décembre 7,06 m
1919 - avril 6,49 m
1923 - mars 6,70 m
1924 - janvier 6,28 m
1926 - février 6,06 m
1936 - janvier 6,83 m
1941 - janvier 6,38 m
1944 - décembre 6,16 m
1945 - février 6,18 m
1952 - décembre 6,37 m
1955 - janvier 6,05 m
1961 - janvier 6,11 m
1982 - décembre 6,06 m
1995 - janvier 5,49 m
2000 - janvier 5,17 m
Depuis 1960, les travaux d’approfondissement de l’estuaire, les extractions de sable dans Nantes et en amont, la suppression des roches de Bellevue, sont à l’origine d’une profonde modification de l’hydrologie fluviale.
Cela se traduit par une accélération de la vitesse du courant et un abaissement de la ligne d’eau.
Il en résulte que, pour mêmes conditions, débits semblables, les effets de crue sont devenus moins graves que par le passé avec des hauteurs atteintes plus faibles.
Les dernières crues (1995 et 2000) peuvent être considérées comme modestes alors qu’en amont d’Angers elles étaient très importantes.
LES GRANDES CRUES DE LA LOIRE
Rupture de la digue à Saint-Simon en 1856
En 1856, une crue surprend les habitants alors que les travaux de la Divatte s‘achèvent. Il apparaît alors que plus on endigue et plus les désastres engendrés par les crues sont importants.
« Arrivée d’autre part en un moment où, par l’achèvement de la levée de la Divatte et par la construction des banquettes ordonnées en 1847, le réseau des levées venait d’être porté au terme de sa croissance en étendue et en hauteur, cette crue est celle qui fait le mieux saisir l’importance des perturbations apportées par l’endiguement au régime des hautes eaux de la Loire » résume Roger Dion dans son « Histoire des Levées de la Loire».
Le 9 juin 1856, vers 19 h 30, la levée ne peut plus soutenir la poussée des eaux du fleuve et la rupture à lieu à Saint-Simon, à la boire de la Chabotière. Cette crue exceptionnelle survient lors de fortes marées conjuguées à une pluviométrie très importante. La Loire atteint, à cette période, le niveau de 5,94 m au-dessus de l’étiage. Des bâtiments sont emportés par le torrent. Réparée dans l’année, la levée sera consolidée par une banquette (perreyée) de 4 m de largeur.
Voici ce que le curé, M. l’abbé Blais, écrivait dans le registre de la paroisse de la Chapelle Basse-Mer. Tout d’abord au mois de mai :
« On se souviendra longtemps du mois de mai pendant lequel deux crues de la Loire ont eu lieu successivement. La seconde surtout qui, le 18 mai, était à son plus haut point, a presque atteint la hauteur de celle de 1843. Elle a répandu un véritable effroi dans la paroisse. Le 18 surtout, le poids de l’eau contre la levée était augmenté par un vent violent qui poussait les vagues contre elle, en furie. Elle parut fléchir en plusieurs endroits et on la voyait prête à se rompre. Il serait difficile de calculer les pertes énormes qu’une rupture aurait causé à la paroisse. Dans un moment où la vallée offrait déjà, pour l’avenir, une brillante et riche moisson. Le dimanche de la Trinité, jour de la première communion, on battait le tambour à l’issue de la grande messe pour appeler tous les hommes à prêter main-forte pour parer à cette catastrophe. »
LES GRANDES CRUES DE LA LOIRE - 1843
Extrait du registre de paroisse de la Chapelle Basse-Mer
Monsieur le curé Morel relate le déroulement de cette crue considérable.
« Le dimanche 15 janvier 1843, à la suite d’ouragans et de fortes pluies, les eaux de la Loire débordèrent avec une rapidité extraordinaire et couvrirent, en peu d’heures, les prés et les terres ensemencées de la vallée. Les habitants passèrent le Saint Jour à sauver ce qu’ils purent : bois, légumes et le fourrage exposés. Dès le lendemain, tous les villages étaient inondés. Le mardi, l’eau entrait dans un grand nombre d’habitations. Monsieur le curé rendit un compte détaillé à Monsieur l’abbé Daudé, vicaire général dans une lettre par laquelle il lui annonçait la détresse des inondés et en faveur desquels il réclamait des prières publiques et l’autorisation de donner la bénédiction du Saint-sacrement ».
Extrait de la lettre envoyée à l’abbé Daudé, vicaire général
« Une désolation telle qu’on n’en avait jamais eu règne dans notre vallée. Des cris de détresse se firent entendre dès le mardi. Cependant l’eau n’avait pas encore atteint la hauteur de la paillasse des lits. Dans toutes les maisons, plusieurs habitants restaient suspendus, pour ainsi dire, sur des espèces de ponts composés d’échelles, de planches et de fagots. On soutenait les bestiaux sur de semblables échafaudages.
La nuit suivante et celle d’après, on entendit des cris lamentables et des voix confuses qui appelaient à l’aide mais on n’y pouvait porter secours qu’en découvrant les toits : impossible d’entrer ou sortir par les portes qu’en plongeant dans l’eau qui envahissait tout.
Mercredi, les bruits les plus sinistres et les plus contradictoires circulaient. On ne savait auxquels croire : des maisons écroulées, des familles entières naufragées, des hommes mourant de faim, des bestiaux noyés. Il y avait en tout du vrai mais nous ne pouvions le vérifier ni secourir les inondés, les bateaux étant concentrés dans l’intérieur des villages pour le service des familles qu’ils pouvaient atteindre et porter des secours aux maisons qui s’écroulaient.
Á minuit, l’eau cesse de monter ; à huit heures du matin elle était en baisse de quelques centimètres, ce qui fit renaître l’espoir.
Jeudi 19, au moyen d’un bateau et de trois hommes vigoureux, j’ai parcouru les villages en commençant par la haute vallée comme étant la plus pauvre et la plus exposée. Le pain était accueilli avec avidité par des gens qui en manquaient. Cependant plus de trois quarts des maisons étaient désertes.
Dans le centre et la basse vallée, où les maisons sont mieux bâties et les ressources plus actives, nous trouvâmes plus de monde dans les maisons. Ils étaient suspendus, eux et leurs bestiaux, comme je l’ai dit plus haut.
Je suis parvenu à pénétrer dans l’intérieur de plusieurs maisons pour consoler de pauvres vieillards et des malades qu’on n’a pu transporter. Quelle misère!.. Le feu de la cuisine, les hommes, les bêtes, tous pêle-mêle sur un radeau peu solide qui se défonce souvent, au milieu de la fumée qui ne s’échappe que par le toit.
Je trouvai une pauvre maison isolée où l’habitant, presque mourant de faim, ne peut recevoir de secours que par un trou. Il reste suspendu sous le toit avec ses bestiaux ; on ne peut deviner comment! Sa femme et ses enfants s’étaient sauvés la veille par un bateau qui passait.
Nous vîmes, à la Pierre Percée, un spectacle aussi triste que curieux : de toutes les terres de la vallée, la Motte est la seule qui ne soit plus couverte d’eau : c’est un chantier fort élevé entouré de bonnes murailles. Là, trente familles sont réfugiées et campées pour ainsi dire avec leurs troupeaux et ce qu’ils ont pu sauver d’effets. Quand ils me virent, ils se mirent à pleurer puis à rire. Pour moi, monsieur l’abbé, je ne sais ce que j’éprouvais à cette vue; je ne saurais du moins l’exprimer. Là, ils dévorent les provisions qu’ils ont disputées au déluge. Je leur dis en pénétrant au milieu du camp : vous êtes là comme dans l’arche, mis vous n’êtes pas couverts comme Noé. Cependant les nourrices sont sous des tentes avec leurs enfants.
Ne passez pas! Ne passez pas par là vous allez périr ! Nous vîmes, en même temps, une maison à étage, la seule de ce genre dans le lieu. Elle s’écroulait à quatorze pas de nous. L’eau et la poussière jaillirent sur nous et la secousse, en grossissant l’eau, soulève notre bateau avec quelques dangers, d’autant plus que nous avions déjà peine à tenir contre le courant. Je sauvai, pour ma part, un soliveau et un livre. Au bruit de la chute, six bateaux accoururent en hâte pour sauver les effets. Les habitants, avertis du danger, avaient évacué la maison. Elle était pleine de provisions, de fourrages, de chanvre et d’effets qu’on avait enlevé depuis qu’on avait aperçu le tourbillon qui creusait sous les fondations.
En parcourant ainsi la vallée, nous apprîmes avec plaisir que les personnes qu’on avait dites coulées avec leur bateau avaient été retrouvées. Dans la confusion et l’émoi, il y eut des fausses couches et des morts à la suite des premiers accidents.
Il est impossible, Monsieur l’abbé de vous faire une peinture de ce que j’ai vu, hier et dans ma course d’aujourd’hui, de déplorable et de déchirant. Tous les fourrages, les provisions de grains, les graines de lin, chanvre, tout est submergé. Le bois de chauffage dispersé et entraîné, les liens de chanvre broyés et non broyés dans le fond de l’eau et perdus par conséquent, ou du moins grandement endommagés. On voit, par le haut des fenêtres ou des toits, les meubles surnager et se promener dans les maisons; se heurter, se battre, pour ainsi dire, en l’absence des maîtres. Pas un four qui ne soit à refaire et puis le linge, les couettes tout comme le reste. Pour comprendre tout ce que cela a de triste et de déplorable, il faudrait entendre les pauvres femmes nous le raconter. Mais tout ce qu’il y avait de plus déchirant dans ces scènes de malheur c’était d’entendre les cris pendant la nuit pour appeler à l’aide.
Nous aurons cependant à remercier Dieu d’avoir préservé la vallée de malheurs plus grands encore qui la menaçaient dès mardi. J’avais vu des maisons, sur des courants, prêtes de s’écrouler, qui sont encore debout. Une belle maison bâtie depuis trois ans qui s’inclinait, le premier jour, par l’effet du courant, s’est redressée et beaucoup d’autres, traits de providence et de protection de la Sainte Vierge, tout cela mérite une action de grâce solennelle. »
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