La commune libre de la Pierre-Percée
Rédaction Yves Huteau et Gérard Jousseaume - Juillet 2011
Evoquer la commune libre de la Pierre-Percée, oblige à faire un retour en arrière pour comprendre aujourd’hui ce qui amena ce village à créer, vers 1950, la commune libre de Pierre- Percée.
A partir de XVIIème siècle jusqu’à la construction de la digue « la Levée de la Divatte », des villageois du coteau sont venus travailler à leurs risques et périls sur une terre nouvelle « la vallée », puis se fixer avec leur famille.
Au XVIIème siècle, Nantes est le premier port du royaume de France. La Pierre-Percée vit avec la Loire qui est l’autoroute de l’époque. Le transport des marchandises sur de longues distances est assuré par voie d’eau de l’océan jusqu’à Roanne, et d’Orléans vers Paris. Les hommes, venus pour travailler la terre, trouvent rapidement un attrait pour le fleuve. Avec leur barque pour faire la pêche et nourrir la famille, ils font quelques transports vers la rive Nord. Puis, ils se lancent complètement dans le métier de mariniers.
On commence par le transport des marchandises vers Nantes. Puis on remonte vers Orléans. Rapidement le village est peuplé de familles de mariniers. On en compte une quarantaine au début du XIXème siècle. Il y a des familles de mariniers dans d’autres villages de la vallée en particulier à Saint-Simon. Les hommes stationnent parfois plusieurs jours dans des villes riveraines de la Loire ou tout au long du canal de Nantes à Brest. Lors de leurs voyages, ils découvrent des manières de vivre et de penser différentes des leurs. Le métier est pénible et dangereux, mais ils ont le sentiment d’être libres. A la Chapelle-Basse-Mer, ils sont mal représentés au conseil municipal et de ce fait n’obtiennent pas l’amélioration de leur « Gare », une boire qui sert d’abri en cas d’intempéries.
Plan du port de la Pierre Percée vers 1840. La Levée de la Divatte n’est pas construite. On distingue face à la place du village l’entrée de la Gare fluviale (boire). Coincée entre le village et l’île Barre cette Gare fluviale sert de refuge aux bateaux lors d’intempéries (crues, tempêtes, glaces en Loire)
Les mariniers font partie d’une grande famille qui s’affirme et revendique des améliorations de leurs conditions de travail. Les gros propriétaires traînent les pieds lorsqu’il faut voter des taxes pour entretenir les digues de protection contre les crues du fleuve. Cela irrite les mariniers. Ce courant de pensée restera longtemps vivace sur les bords de la Loire.
En 1886, lors du vote pour la séparation du secteur de Barbechat du reste de la commune de la Chapelle-Basse-Mer et sa constitution en commune indépendante, une quinzaine d’habitants de la Pierre-Percée se distingue en signant une pétition. Ainsi, ils affirment leur soutien à l’autonomie revendiquée par Barbechat. Par ailleurs ils demandent pour leur village une mairie annexe, un adjoint spécial et un marché.
L’église, l’administration, les commerces et l’école sont à plus de 4,5 km. Le besoin d’indépendance se fait sentir.
Ces familles de mariniers sont solidaires et lancent des mouvements d’entraide. Elles créent, en 1885, à la Chapelle-Basse-Mer, la Société de Secours Mutuel, qui existe encore aujourd’hui dans les Mutuelles Ligériennes. Créée sur le modèle de la Société de Secours aux mariniers qui existe alors à Ancenis, cette société regroupe des habitants de la vallée. Ce sont en majorité des mariniers, des artisans, des agriculteurs et des commerçants du bourg. La réunion constitutive a lieu le 8 février 1885 à l’école communale des garçons en présence de 37 personnes. Le premier président est Mr Victor Clément marchand de vin, le secrétaire est l’instituteur public de la commune, il a pour adjoint Thomas Pouplard, aubergiste à la Pierre-Percée fils et petit-fils de marinier. Le vice-président est un cultivateur de Saint-Simon.
La création de cette société n’est pas du goût des notables en place, d’autant que le fait de s’allier avec les tenants de l’école publique n’est pas apprécié du clergé. Il faudra attendre 1934 pour que les réunions du conseil d’administration puissent se tenir à la mairie. En 1956, un habitant de Pierre-Percée Mr Léon Sauvêtre est élu président.
Le pouvoir communal est favorable aux opinions du député conservateur le marquis de Dion, et il n’est pas bien vu des notables du pays de manifester trop d’indépendance. Le courant de pensée d’Aristide Briand affirmé au début du siècle, influence encore les anciens mariniers et beaucoup partagent ses opinions. Des réunions ont lieu à la Pierre-Percée jusqu’en 1950. On a même vu André Morice, ancien ministre et maire de Nantes, venir soutenir la population locale.
Après la guerre 39/45, l’expression de cette indépendance se caractérise par la création d’une « Commune libre » à la Pierre-Percée. Les principaux fondateurs sont Mrs Ludovic Pouplard, Henri Moreau et Gustave Joubert. Ils organisent la fête du 14 juillet, avec course en baquets sur la Loire, retraite aux flambeaux et bal populaire sur la place du village. Une grande partie de la population participe activement à cette fête qui perdurera jusqu’à la fin des années 1950. A cette période la commune de la Chapelle Basse-Mer ne célèbre le 14 juillet.
Vers 1930, un comité des fêtes est créé dans ce village. Pierre Boulet en est le premier président.
Cet esprit d’indépendance vis-à-vis du pouvoir municipal, l’est également envers le pouvoir religieux. Une partie des habitants est très critique, un peu « bouffeurs de curé ». C’est pourquoi, pour le clergé, le village est terre de mission.
Au début de 1947, la paroisse accueille pendant trois semaines des prédicateurs missionnaires pour conforter la pratique religieuse. A cette occasion, compte tenu du contexte, le village est pour le clergé un endroit où il faut porter cet effort. Un ancien séchoir à tabac est le lieu de rassemblement pour la population locale et les villages des environs, pour écouter la bonne parole des missionnaires et proposer une messe chaque semaine. Il est difficile de mesurer l’effet de cette mission, mais ce sentiment anticlérical local a disparu depuis longtemps et la pratique religieuse aujourd’hui ne se mesure pas au niveau d’un village.
Cet épisode date de plus de 70 ans et depuis la Loire coule tranquillement (pas toujours) devant le village.
Lorsqu’en 1945 l’heure de la libération sonne et qu’il faut choisir un nouveau maire pour la Chapelle-Basse-Mer, les voix des électeurs de la « commune libre » de la Pierre- Percée comptent. Plus tard un habitant du village, Louis Douineau deviendra conseiller général du canton du Loroux-Bottereau puis, en 1963 maire de la Chapelle-Basse-Mer et suppléant du député du vignoble Mr de Sesmaisons.
Aujourd’hui seuls les anciens du village se souviennent de cette période.
Gérard Jousseaume
17/05/2021
En complément, voir La Pierre-Percée, hier et aujourd'hui
Sortie de messe à la Pierre Percée lors de la mission de 1947
2024 créé par Pierre Gallon et Pierre Saunière contact : patrimoinechapelain@gmail.com