La châtellenie de l'ÉPINE-GAUDIN
en la Chapelle Basse-Mer, ses châtelains et ses droits.
(environ 942-1789)
Rédaction de Yves Bernard Gasztowtt
Sources de l'article :
- Reynald Secher : La Chapelle Basse-Mer, anatomie d'un village vendéen.
- René Chéné : La commune de la Chapelle Basse-Mer.
- Yves-B. Gasztowtt : Visitons la forteresse de l'Epine-Gaudin.
- Yves-B. Gasztowtt : L'Epine-Gaudin (la forteresse du Xe siècle, le manoir du XVe siècle,
la châtellenie Xe -XVIIIe siècles).
- Yves-B. Gasztowtt : La création du bourg de la Chapelle Basse-Mer.
- Cornulier : Généalogie de la maison de Cornulier.
- L. Bossard : Essai sur la généalogie des seigneurs du Loroux-Bottereau.
1 - Nature et transformations de la châtellenie
A - La première fonction d'une châtellenie est militaire.
Le terme “châtellenie“ a un sens précis et spécialisé. Il provient du terme juridique latin castellanus “celui qui habite un château fort et le défend (IIe siècle), puis à l'époque médiévale celui qui est préposé à la garde d'un château (1002 -1024), ce fonctionnaire ayant un rang dans la hiérarchie seigneuriale”. (A. Rey : Dictionnaire historique de la langue française, p. 396). Quant au mot château, il « est issu du latin castellum “forteresse”… et en latin médiéval citadelle, ville fortifiée, oppidum VIIIe siècle ». (idem D.H.L.F.).
Cette forteresse suppose des terres nécessaires à assurer la vie de la garnison et l'entretien du château, à une époque où l'on produit sur place presque tout le nécessaire à la vie humaine. La première raison d'être de la châtellenie est d'assurer, par des droits et des taxes, la pérennité du château qui est d'abord une machine militaire de défense du territoire de l'Etat carolingien ou de l'Etat breton.
L'Epine-Gaudin, fondée par le duc de Bretagne pour surveiller la Loire contre les Normands scandinaves, illustre bien cette fonction militaire. Sa châtellenie doit lui permettre de durer grâce aux ressources locales, la terre, la forêt et surtout des paysans et des serfs, manœuvres sans liberté ni qualification, mais capables, bien nourris et bien encadrés, de déplacer des matériaux élémentaires : la terre, la pierre, le bois et l'eau.
B - Caractère et stabilité de la forteresse de l'Epine-Gaudin.
“Sous la menace des invasions barbares du Ve siècle, les gallo-romains avaient entouré d'une enceinte de pierre les civitates, les cités comme Nantes, Vannes, Angers et Poitiers, villes principales des différents peuples gaulois, ou villes nouvelles créées par Rome. Par la suite, ces fortifications se sont dégradées, n'étant pas souvent utiles, mais certaines subsistaient vers 1150 comme celles d'Angers et même, à la fin du XIIe siècle, comme à Strasbourg, à Maastricht et à Vannes, réutilisées au XIIIe siècle”. (A. Salamagne - Les villes fortes au Moyen-Age, p. 13).
Lorsqu'il faut faire face à de nouveaux envahisseurs, les Normands danois, au début du IXe siècle, les procédés de l'architecture antique en pierre ne sont pas repris et on construit des forteresses qui renouent plutôt avec la tradition des oppidums gaulois et de l'âge du fer qu'avec l'architecture civilisée de Rome, encore que la fortification romaine de campagne, en terre et en bois, prolongeait aussi cette tradition par l'agger, le rempart en terre et le vallum, la palissade en bois.
Notamment, “l'érection des guerches a été déterminée par la réorganisation de la marche de Bretagne au cours de la période 820-850, avec le renforcement de tout le potentiel défensif franc sur la Basse-Loire”. (N.Y. Tonnerre : Naissance de la Bretagne, p. 104). Les guerches sont plus anciennes d'un bon siècle que l'Epine-Gaudin et sont franques et carolingiennes alors que l'Epine-Gaudin est d'initiative bretonne. Mais, par son implantation fluviale sur la Loire comme par son affrontement aux Normands, l'Epine-Gaudin prolonge la fonction des guerches franques (Y-B. G. : Visitons la forteresse de l'Epine-Gaudin) enceintes en terre palissadées souvent construites sur un éperon rocheux barré.
Cette forteresse est créée peu après la date de 942, si ce n'est même cette année là, où les trois pagi du sud de la Loire, d'Herbauge, des Mauges et de Tiffauges où se trouve l'Epine-Gaudin, sont donnés par Guillaume Tête-d'Etoupe au duc de Bretagne Alain Barbetorte. (Y-B. G. : La création du bourg de la Chapelle Basse-Mer). Cette donation est faite à titre précaire et doit prendre fin à la mort du duc. (M. Dillange : Les comtes de Poitou, p. 87). En réalité, à sa mort en 952, il n'en sera rien. Cette clause restrictive renforce notre thèse selon laquelle c'est bien Alain Barbetorte qui, sans délai, prend l'initiative de créer la forteresse.
Si l'Epine-Gaudin est une forteresse plus récente que les guerches franques, elle est un peu antérieure aux châteaux à motte “apparus dans les années 960 ”. (P. Contamine : Le Moyen-Age, p. 179). L'Epine-Gaudin ne se distingue des châteaux à motte que par trois traits. Le premier est l'époque de construction et l'ordonnateur. Le second est son socle rocheux comme celui des guerches : c'est le roc qu'on a entaillé et enlevé pour créer de puissants remparts. Le troisième trait est sa surface d'un hectare et demi qui contraste avec les petites mottes généralement moins étendues.
Les mottes, caractéristiques de l'an mil, mobilisent une main-d'œuvre servile incapable de maçonner en pierre mais apte à charrier de la terre et du bois. Au flanc d'une vallée et souvent au confluent de deux vallées d'importance inégale, on creuse un fossé circulaire qu'on puisse ennoyer grâce au petit cours d'eau et on amasse la terre au centre. Sur cette motte, on dresse une tour en bois, si possible arrogante, qu'on entoure d'une haie de forts troncs d'arbres à peine équarris et solidement reliés entre eux. La tour sert à la fois de réduit défensif - on y pénètre à l'étage par une échelle ou une passerelle qu'on puisse retirer à l'intérieur - de tour de guet, de logis du sire et surtout d'emblème de son pouvoir marquant le paysage. S'il en a les moyens, le sire entoure cette motte fossoyée et sa basse-cour voisine d'un second fossé dont la terre, tassée vers l'intérieur, forme un talus où l'on plante aussi une haie. La basse-cour peut abriter à la fois le seigneur dans un logis en pierre plus confortable qu'une tour de bois exiguë et la garnison de chevaliers de petite noblesse qui intriguent dans leur service pour devenir des vassaux fieffés. En cas d'alerte, les paysans des clairières voisines y affluent et y trouvent refuge. Elle peut aussi protéger une grange, des écuries, une forge et un four. Peut-être y construira-t-on une chapelle, prioritaire dans l'emploi des pierres et, sur le ruisseau voisin, un moulin dont les taxes en nature, comme celles du four banal et du gué de la rivière grossiront le grenier du sire. Les meilleures mottes s'adjoindront un bourg castral.
Au début du XIIe siècle, un chroniqueur peut encore écrire : “Les hommes de grande fortune et de noble naissance passent le plus clair de leur temps à des hostilités et batailles afin de se protéger contre leurs ennemis, de vaincre leurs égaux et d'opprimer les faibles ; ils ont coutume d'élever un remblai le plus haut possible, de creuser tout autour un fossé large et profond, au sommet court un rempart fait de troncs équarris solidement assemblés”. (cité par Georges Duby : Le temps des cathédrales, p. 48). Ce n'est, en effet, que dans la seconde moitié du XIIe siècle que la pierre fut employée couramment à maçonner des murs coûteux mais solides et verticaux après avoir dallé les pentes des mottes et des levées de terre, ainsi rendues plus stables et plus glissantes. Certes, dès la fin du Xe siècle, les princes dressent des donjons de pierre tels “les comtes d'Anjou à Angers, à Loches ou à Loudun”. (P. Contamine : Le Moyen-Age, p. 179). Mais la généralisation des châteaux de pierre est tardive et c'est lentement qu'ils remplacent les châteaux de terre et de bois. Les enceintes des villes suivent le même mouvement. “Les sources démontrent à l'envie qu'au XIVe siècle les enceintes n'étaient encore pour la plupart constituées que de levées de terre, les terrées”. (A. Salamagne : Les villes fortes au Moyen-Age, p. 79). “Au XVe siècle, des murailles de terre palissées subsistent largement par exemple à Bruges et à Toulouse”. (Idem, p. 56). En 1427, à Rennes, pour l'enceinte de la ville “devant la menace anglaise, on décida la construction de 17 bastilles, tours de bois quadrangulaires”. (idem, p. 57). En 1420, on le sait, l'armée bretonne détruit la forteresse de l'Epine-Gaudin. Si à Rennes, on construisait encore en bois en 1427, est-il vraisemblable qu'on ait jamais, à l'Epine, reconstruit en pierre les palissades de bois ?
Avait-on même entretenu les palissades d'une forteresse dont nul ne rapporte jamais l'assaut avant 1420 ? L'armée bretonne n'eut alors qu'à achever l'œuvre du temps en abattant quelques pieux vermoulus sur la route de Champtoceaux qu'on croyait devenu l'infâme prison du duc Jean V. Par chance, l'idée d'entamer le roc ne vint à personne et il demeure de la forteresse l'un des plus éloquents témoins.
C - La châtellenie comme seigneurie féodale majeure.
Si la châtellenie naît de préoccupations militaires et assure d'abord la fonction défensive, elle est aussi, comme toute seigneurie une unité administrative marquée, surtout dans la seconde moitié du Xe siècle par l'accentuation de la féodalité.
La mise en place de la féodalité est en réalité un processus lent, plus facile à étudier dans l'empire carolingien que dans une Bretagne plus perturbée par la présence normande. Sous Charles-le-Chauve qui règne de 843 à 877, la construction des châteaux reste prérogative royale, à tel point qu'il fait détruire, malgré les invasions, les châteaux construits sans son autorisation. Mais ce monopole d'Etat ne dure pas car, par la suite, ducs, comtes et plus petits sires en font pourtant construire sans s'inquiéter et y placent leurs hommes.
Les familles aristocratiques imposent l'hérédité des charges que Charles-le-Chauve légalise par l'édit de Quierzy-sur-Oise du 14 juin 877. Cette pratique se généralise alors et précipite la désagrégation de l'empire carolingien.
A partir de 950, les châteaux des ducs et comtes eux-mêmes leur échappent souvent. Les oppidanus ou gardiens qui tiennent en main les places fortes par des troupes à leurs ordres en deviennent les propriétaires héréditaires. Ces capitaines, d'abord nommés par le roi carolingien, ou en son nom par un comte et en Bretagne par le duc, se considèrent comme propriétaires héréditaires du château et des droits seigneuriaux qui l'accompagnent. Ces fonctionnaires “regardèrent comme un élément de leur patrimoine l' “honneur” qu'ils tenaient du roi, c'est-à-dire l'ensemble constitué par la délégation du ban et par les biens fonciers qui jadis avaient représenté le salaire de leur fonction”. (G. Duby : E.U. Féodalité).
Les seigneurs deviennent ainsi autonomes à l'égard de l'Etat, naguère conçu par Charlemagne sur le modèle centralisé de l'Empire romain. Ils s'attribuent une parcelle du pouvoir d'Etat, le ban : pouvoir de commander, de punir et même à l'occasion de créer des lois sur leur domaine.
Leur cour, c'est-à-dire l'assemblée de leurs proches parents et de leurs dépendants (vassaux) les relaie dans l'exécution de leurs décisions et le gouvernement de leur seigneurie. Elle devient leur administration. Ainsi chaque seigneurie se trouve progressivement munie de règles coutumières propres qui peuvent être différentes dans le détail de celles des autres seigneuries. “La féodalité est, en gros, une appropriation des charges publiques, une identification entre la propriété du sol et l'exercice de la puissance publique : commandement militaire, justice, impôts. La féodalité s'analyse comme un processus de désagrégation de l'Etat [qui] aboutit à un émiettement du pouvoir entre les seigneurs locaux”. (J. de Malafosse : E.U. Ancien droit français).
Dès la fin du IXe siècle, les châtellenies sont des seigneuries majeures adossées à une forteresse. Bientôt l'émiettement du pouvoir descend encore un degré quand des soldats de sa garnison obtiennent du châtelain le petit fief dont-ils rêvent contre un hommage, c'est-à-dire une promesse de fidélité. Aussitôt, sur son fief, chacun dresse son propre château miniature de parade : une motte, rapide et facile à amasser grâce à de la terre et des serfs partout déjà en place. C'est la raison de son succès qui est aussi le signe de l'effritement du pouvoir du châtelain. Les nouveaux fieffés devenus nobliaux mottés exhibent bien haut, comme tout parvenu, leurs hochets clinquants qui serviront d'épouvantails à leurs sujets et à leurs voisins.
D - La châtellenie comme ensemble de droits localisés.
Comme tout seigneur, le châtelain est allié à d'autres seigneurs par des liens de parenté et surtout lié par l'hommage vassalique à un ou plusieurs suzerains généralement plus puissants que lui. Ainsi les suzerains de l'Epine-Gaudin sont le duc de Bretagne et le comte de Nantes et, quand ils sont affaiblis ou que le pouvoir est disputé entre plusieurs prétendants, le châtelain de l'Epine est pratiquement indépendant. En effet, dans la seigneurie, c'est le lien féodal, la dépendance du vassal au suzerain qui sont prépondérants et non le territoire. C'est pourquoi “sauf exception, en 1060, la seigneurie châtelaine ne correspond pas encore à un territoire délimité. Elle peut s'étendre sur des terres tenues en fief du comte, sur des alleux [des terres libres de redevances] ou sur des terres monastiques… La plupart du temps, le sire exerce l'ensemble des pouvoirs du ban sur les villages qui sont situés à proximité immédiate de son château. Entendu comme un ensemble de droits, la seigneurie châtelaine est donc un honneur… Le sire y associe les petits chevaliers de son château en leur concédant en fief certains de ses droits… mais il se réserve le plus souvent la haute-justice”. (R. Le Jan in P. Contamine : le Moyen-Age, p. 180).
On ne doit donc pas rechercher dès 1060 une stabilité du territoire d'une châtellenie comme l'Epine-Gaudin. Et même, évoquant la seigneurie plus tardive, de la seconde moitié du XIe et du XIIe siècle, O. Guyotjannin écrit : “La seigneurie est un ensemble de droits dont l'un est cédé, l'autre réaffirmé ou renégocié. Territoire toujours discontinu, juxtaposition de lieux très publics (route marché…), sacralisés (église, aître-cimetière…) hautement symboliques (lieux de la justice et de la punition), valorisés par leur poids économique (granges, moulins..) et de zones d'appropriation plus incertaines progressivement domestiquées et quadrillées”. (Idem, p. 222).
La conséquence qu'en tire O. Guyotjannin pour la même période peut - si l'on ose dire - consoler de la perte des archives de l'Epine-Gaudin pour parvenir à cartographier la châtellenie : “Il en résulte que, même en disposant de sources infiniment plus détaillées, donnant autre chose qu'un négatif partiel (bilan des aliénations connues par des chartriers ecclésiastiques), la cartographie d'une seigneurie demeurerait largement inopérante”. (Idem, p. 223).
II - Les châtelains de l'Epine-Gaudin
On ignore les noms des premiers oppidanus de l'Epine-Gaudin, nommés par le duc de Bretagne, peut-être dès 942, date à partir de laquelle les conditions sont réunies pour que soit prise la décision de construire la forteresse, assortie peut-être de la nomination d'un oppidanus chargé du chantier.
1 - Amauricus, castellanus cité par le chartrier de l'abbaye de Marmoutier, en 1050, ainsi que les bourgs de Barbechat (au Perthuis-Chuerin), de l'Epine-Gaudin et de la Chapelle Basse-Mer.
Les noms de famille n'existant pas encore, il est nommé par son seul prénom. “L'usage du surnom aristocratique fondé sur le nom du château n'est guère antérieur au milieu du XIe siècle et la rupture que constitue l'adoption massive des noms princiers date de la seconde moitié du XIe siècle”. (R. Le Jan in P. Contamine : Le Moyen-Age, p.192).
2 - L'Ecuyer Anast Raoul de l'Epine est cité par René Chéné ainsi que les deux écuyers suivants, en 1134, avec ses armes “D'or à la croix de sable [noire] cantonné de quatre molettes d'éperon de gueules”. De telles armes ont été conçues après 1188 et semblent donc avoir été attribuées à l'écuyer rétrospectivement. (René Chéné : Chronique de l'Epine-Gaudin, p. 6).
3 - L'Ecuyer Geoffroi de l'Epine est cité en 1173. A cette date, “il fut fait prisonnier au siège de Dol” en Bretagne. En 1214, il prit part à la célèbre bataille de Bouvines.
4 - L'Ecuyer Raoul, baron de l'Epine-Chapouin est cité en 1360. “Ce chevalier créa une léproserie vers cette époque en l'Ile Chapoint qu'il mit sous le vocable de Saint-Nicolas”.
5 - “Au [tout] début du XVe siècle, la châtellenie appartient au connétable Olivier de Clisson. En 1407, son patrimoine est partagé entre ses deux filles : Béatrice et Marguerite. Blain, le Gâvre, Champtoceaux et l'Epine-Gaudin échoient à Marguerite, épouse de Jean de Blois”. (R. Secher : Anatomie, p. 171) de la famille de Penthièvre.
6 - Après l'attentat du 13 février 1420, commis sur la personne du duc Jean V et celle de son frère, Richard de Bretagne, comte d'Etampes, au Pont-Trubert, sur la rivière Divatte, en Barbechat, le duc, cible de cette tentative de coup d'Etat pour le remplacer par Olivier de Penthièvre, fils de l'instigatrice Marguerite, fait condamner les factieux pour crime de lèse-majesté à la confiscation de leurs biens.
7 - Le 14 septembre 1420, Jean V donne à Richard les “chastel, ville, forteresse et châtellenie de Cliçon et de l'Espine-Gaudin”. (René Blanchard : Lettres et mandements de Jean V, lettre 1403).
8 - Richard de Bretagne construit à l'Epine-Gaudin un manoir “démoli [sur ordre de Jean V] peu après sa mort” survenue le 3 juin 1438. (idem : lettre 2347 du 21 janvier 1439).
Ce petit manoir d'agrément ne doit pas être confondu avec la forteresse du Xe siècle. Il n'a aucune fonction militaire ; ses douves et ses tours sont les signes ostentatoires d'une terre noble, exempte d'impôts fonciers. Sa fonction pratique est résidentielle. Il fait partie des tout premiers manoirs construits au XVe siècle, d'abord dans l'entourage ducal, jusqu'au XVIIe siècle. De récentes recherches en donnent une connaissance approfondie. Voir Christel Douard : Architecture et manière d'habiter, l'exemple de quelques manoirs au XVe siècle - in J. Kerhervé : Noblesse de Bretagne du Moyen-Age à nos jours - Actes de la journée d'études de Guingamp (1997) Rennes P.U.R.. (Institut culturel de Bretagne).
9 - Le 22 avril 1476, le duc François II donne la châtellenie de l'Epine-Gaudin à son neveu Jean de Chalon, prince d'Orange, gouverneur de Bretagne et fils de Catherine, sœur de François II, car leur mère, la comtesse d'Etampes, veuve de Richard n'en jouissant qu'à titre d'apanage, le duc François II peut en disposer à son gré.
10 - En 1491, Jean de Chalon vend la châtellenie à Arthur Lespervier, grand veneur de Bretagne et époux de Françoise Landais, fille unique de Pierre Landais, trésorier chéri du duc François II et seigneur du Loroux-Bottereau.
11 - En 1512, à la mort d'Arthur Lespervier, son fils Louis-François Lespervier en hérite.
12 - En 1540, la châtellenie appartient à Bonaventure Lespervier, fille de Louis-François Lespervier et épouse de François de la Noue.
13 - En 1579, elle appartient à leur fils François de la Noue, célèbre capitaine calviniste dit Bras-de-Fer (1531-1591).
14 - En 1591, Odet de la Noue hérite de la châtellenie. En 1594, il la vend à Gabriel Ier de Goulaine. “A partir de cette date, la châtellenie paraît se diviser, vendue à différents propriétaires”. (R. Chéné donne, dans sa chronique, le détail de ces ventes). Mais la plus grande partie de ses terres et de ses droits subsistent.
15 - En 1608, Gabriel II de Goulaine, fils du précédent en hérite. Il est élevé au titre de marquis en 1621. Dès lors la châtellenie de l'Epine-Gaudin, comme par ailleurs la seigneurie du Loroux-Bottereau, se trouvent incluses dans le marquisat de Goulaine. Sa fille Yolande en hérite à son tour.
16 - Probablement à la mort de Yolande, sa soeur Anne en hérite, elle épouse Sébastien de Rosmadec, marquis du Plessis-Josso. Leur petit fils, Michel-Anne de Rosmadec hérite. Il meurt en 1782.
17 - Son neveu, le comte de Bruc, puis, à sa mort en 1785, le frère utérin de ce dernier, le vicomte Jean-François de Baillehache en héritent successivement ainsi que des dettes considérables du marquis de Rosmadec.
18 - En août 1788, les droits de fief subsistants sont vendus à la famille Champdenier. Les redevances sont minimes.
La Révolution française supprime les seigneuries, châtellenies, marquisats et autres circonscriptions d'Ancien Régime et crée d'autres divisions administratives.
III -Les droits de la châtellenie de l'Epine-Gaudin
Nous résumons les droits de la châtellenie de l'Epine-Gaudin tels que les présente Reynald Secher dont la source est ici “Guillotin de Corson : Les grandes seigneuries de la Haute-Bretagne - Déclaration de la châtellenie de Goulaine en 1696, pp. 160-163”. Ce résumé n'est par conséquent qu'un instantané pour l'année 1696 des droits de la châtellenie de l'Epine-Gaudin alors intégrée dans le marquisat de Goulaine depuis sa création en 1621, comme on l'a vu précédemment. Les droits de la châtellenie et ceux du nouveau marquisat ont dû s'accorder les uns aux autres. Par ailleurs, les droits s'inscrivent dans l'histoire générale du droit : certains peuvent apparaître, d'autres disparaître.
A l'origine, la seigneurie châtelaine est un honneur ou un ensemble d'honneurs, c'est-à-dire un ensemble de droits concédés par un ou des suzerains, à l'origine le duc de Bretagne, par la suite, le comte de Nantes et, à partir de 1621, le marquis de Goulaine. “Depuis le VIe siècle, honor se dit de charges octroyées à un comte, à un duc, aux officiers royaux qui s'accompagnent de revenus fonciers… Au Xe siècle, honneur a le sens d'office, charge, puis de possession, fief”. (A. Rey : D.H.L.F., p. 970). Ceci doit être présent à l'esprit lorsqu'on parlera de droits honorifiques à propos des droits religieux.
1 - Les droits sur les propriétés.
- Droit de déshérence : un bien abandonné à la mort du propriétaire légitime revient au seigneur de
l'Epine-Gaudin.
- Droit de rachat : le seigneur jouit, pendant une année, de toutes les successions nobles de la châtellenie.
- Droit de ventes et lods : le sixième des ventes ou locations pour les frais des actes de vente ou de
location.
- Droit de rente annuelle : impôt dû sur chaque propriété et sur chaque personne.
- Droit de gîte s'appliquant surtout à la vassalité de la Sénéchalière en Saint-Julien-de-Concelles. Il
s'agit d'une redevance en nature pour un repas dû au seigneur quand il visite le lieu. On l'appelle
“la mangée le comte de saulce” en souvenir du comte Richard d'Etampes.
2 - Les droits sur les personnes.
- La quintaine et la pelote sont des taxes sur les nouveaux mariés qui passent leur nuit de noce sur
la châtellenie. Elles se présentent comme des jeux. La quintaine consiste, pour le nouveau marié, monté
à cheval ou sur un bateau, un certain jour de l'année, dans chaque paroisse, à abattre un mannequin avec
une lance. Ce mannequin de manège s'appelle “quintaine” depuis 1273. (A. Rey :D.H.L.F., p. 1692).
La pelote consiste, sous peine d'amende pour défaut, à jouer à renvoyer une balle de cuir avec un battoir,
comme le tennis. Ce sens du mot “pelote” remonte à 1165. (A. Rey : D.H.L.F., p. 1466).
- La corvée : chaque métayer et vassal avait un “devoir de bien”. En pays nantais, on appelait “bien” ce
qu'on appelle ailleurs “corvée”.
- Le “gros de guerre”, imposé en cas de guerre, valait 15 deniers. “Le droit de gros est un droit sur la
vente en gros de certaines marchandises, en particulier les boissons alcoolisées”.
(M. Lachiver : Dict. du monde rural, p. 916). Il semble y avoir analogie.
3 - Les droits économiques.
- Droit d'utilisation des communs, ou terres restées collectives, comme la Vallée que le fleuve inondait
l'hiver, où on pouvait faire pâturer des troupeaux. Ce droit était payé au lieu-dit Pierre-Rouxeau, le jour
de l'Angevine, le 8 septembre, fête de Notre-Dame du Marillais, en Anjou, date du terme des fermages.
- Devoir, à la Toussaint et la Noël, pour les vassaux ou “étaigiers” (terme qu'utilisent couramment les
actes notariés), de “dîner et faire leurs usages en certain lieu” et y payer une redevance .
- Droit du seigneur de pacager cent moutons dans les communs de la Vallée. Cette quantification montre
que les communs sont considérés comme une propriété collective dont le seigneur a seulement une forte
part.
- Droit de “distroit”, c'est-à-dire de prélèvement pour moudre aux moulins à eau et à vent de l'Epine situés
l'un près du château et l'autre sur l'Ile-Gaudin.
4 - Les droits commerciaux terrestres.
- Droit de mesures à blé et à vin, spécifiques à l'Epine. Le boisseau de blé vaut 14,80 litres, la pipe de vin
contient 8 casterets, chaque casteret 5 jallais, le jallais 6 quartes. Au Loroux-Bottereau, le boisseau vaut
17,51 litres et à la Boissière 13 litres. Boissel et boistrie sont des mots connus respectivement depuis
1198 et 1188. Pipe a le sens de tonneau dès 1212 et provient du latin populaire pippare qui signifie
piauler, glousser en 1180, puis “désigne une ancienne mesure de capacité pour les liquides vers 1278 et
en 1306 une grande futaille”. (A. Rey : D.H.L.F., p. 1526).La quarte désigne, au XVIe siècle, une pinte
de liquide, c'est-à-dire une mesure de capacité étalonnée comme une canna ou une quarta (vers 1200)
pourvues d'une marque peinte.
- Droit de coutume ou de protection des marchands, devenu le droit de foire. Les foires coïncidaient avec
les pèlerinages : le 28 octobre à la Saint-Simon et Saint-Judes, foire aux marrons au village de Saint-
Simon, dit Port de Mauves - le 6 décembre à la Saint-Nicolas d'hiver, à l'Epine, plus précisément à l'Ile
Chapouin - en juin dit la Saint-Nicolas d'été à Barbechat, à la Madeleine, c'est-à-dire au Perthuis-
Chuerin. En 1486, la recette des droits de foire s'élève à 30 sous.
Précisons que l'église du bourg de l'Epine ainsi que la léproserie de l'Ile Chapouin étaient dédiées à
Saint-Nicolas de Myre, patron des marins et mariniers et que la foire de Saint-Simon s'est maintenue au
moins jusqu'aux années 1920.
5- Les droits commerciaux fluviaux, le fleuve étant traditionnellement la principale voie de transport du pays.
- Le denier Gaudin est payé à Nantes à l'officier de la châtellenie par tout bateau de commerce passant en
Loire devant l'Epine.
- Le devoir du Port-de-Mauves permet, au moins depuis 1492 où la recette de l'année est de 100 sous, de
passer gens et marchandises d'une rive de la Loire à l'autre grâce à un bac et son pontonnier entretenus
par la châtellenie. En basses eaux, ce ponton se prend à Saint-Simon et, en période de crue, au Chêne-
Vert, au Port-Biry, du nom de Thomas Biry, fermier en 1680 de ce service au seigneur de l'Epine. Un
aveu de 1728 indique que la Vrillère est devenue propriétaire de ce service. C'est l'exemple d'un droit
qui, par vente, est perdu par l'Epine-Gaudin.
- Le droit d'épave et gallois fait revenir à l'Epine-Gaudin tout bateau échoué sur la châtellenie.
- Le droit de voilage ou de prime voile attribue au seigneur le premier saumon, alose ou lamproie
pris dans l'année en Loire, par un pêcheur. Ce dernier doit aussi “lorsqu'il est mandé par le
seigneur, pescher en ses étangs et eaux”. Enfin le seigneur détient un droit illimité de pêcherie.
6 - Les droits religieux.
Le châtelain “de l'Epine-Gaudin est seigneur supérieur et fondateur des églises, chapelles et presbytères de la Chapelle Bassemère et de la Remaudière. A ce titre, il détient des droits honorifiques de banc, d'enfeu, de vitres et d'armoiries dans l'église”. (R. Secher, p. 198 citant Guillotin de Corson).
Précisons qu'il s'agit respectivement des droits de siéger au chœur de l'église, d'y être enterré, d'afficher des avis et édits et d'exposer, sculptées dans la pierre et peintes, les armoiries du seigneur en place honorable : au dessus de son tombeau familial ou aux clés de voûtes d'une chapelle dont il a fait donation.
En 1728, un aveu de Michel de Rosmadec rappelle et précise “Au dit seigneur appartiennent les droits de prééminence, supériorité, prérogatives, prières nominales au prône du dimanche et tous autres droits honorifiques tant dans ladite église où il a son banc au chœur, du côté de l'Evangile, ses armes et ses alliances sur le granit et principal vitrail que dans les cimetières, chapelles, presbytères”.
Tous ces droits visent à rappeler ostensiblement le rôle fondateur des anciens châtelains de l'Epine dans les églises et les édifices liés au culte.
7 - Les droits judiciaires.
La châtellenie possède le droit de haute, moyenne et petite justice. Cependant, en 1551, “un tribunal présidial est établi à Nantes ; il peut condamner un délinquant à la peine capitale. L'exécution a lieu sur la pointe de l'île Gaudin”. (R. Secher : Anatomie, p. 199).
8 - Droits divers. D'autres droits sont incidemment évoqués. (R. Secher : Anatomie, p. 202).
- Droit de création d'officiers, c'est-à-dire d'employés ou de fonctionnaires de la châtellenie.
- Droit de police.
- “Généralement tous autres formes droits ainsi que la tenue le doit et si le fief requiert”. Ce droit revient
au droit de créer de nouveaux droits.
Remarques.
a) “En 1480-81, les revenus de l'ensemble de la châtellenie sont en deniers de 1089 livres, 5 sous, 6 deniers.
De plus, ils sont en froment de 4 setiers, en seigle de 37 setiers, en avoine de 5 sétiers et un boisseau, en vin
de 59 pipes, en chapons de 80, en poules de 10, en moutons de 8 ” (R. Secher : Anatomie, p. 202). “En
1476, les revenus annuels sont de 660 livres”. (Idem, p. 191).
b) Aux XVe et XVIe siècles, après la destruction de la forteresse en 1420 et du petit manoir en 1439, le bourg
de l'Epine demeure la résidence de personnages d'une certaine importance car six de ses habitants paient
ensemble 12 deniers. Nous comprenons qu'il s'agit du droit de rente annuelle dû sur les propriétés et aussi sur
les personnes, bien que cela ne soit pas précisé. Les 14 autres “étaigiers” (“ L'infinitif estagier a signifié au
milieu du XIIIe siècle : demeurer, résider”. - A. Rey : D.H.L.F., p. 734) ainsi que deux autres seigneurs
versent ensemble 12 deniers au même titre. (R Secher : Anatomie, p. 201). Ces six habitants du bourg de
l'Epine contribuent donc presque autant que tous les autres vassaux.
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