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La culture du chanvre en vallée de la Loire

 

D’après quelques documents en notre possession, la culture du chanvre « Cannabis Sativa » a été pratiquée dans notre vallée de « La Divatte », à l’usage exclusif de la « filasse » destinée à la fabrication de toile rudimentaire ou de cordages de bateaux, aux 19e et 20e siècles. Les « guettes », résidu du broyage, étaient à l’usage du récoltant. C’était une bonne litière pour les animaux, mêlée à la paille des céréales.

Les plus anciens parmi les habitants de la vallée (de 70 ans à plus) ont connu cette culture très exigeante, à tous points de vue, même en efforts physiques. Le milieu était propice. Les sols se prêtaient à la culture. La Loire offrait des zones de rouissage dans son lit, de séchage sur les grèves…

Malgré ces avantages, il fallait des primes d’encouragement pour le maintien de cette activité. C’est tout dire ! Dès les années 1930, la 3e République instaura des primes, modestes certes. L’ « État Français » dont une devise était « l’Épi sauvera le Franc », encouragea l’agriculture, célébrant le « retour à la terre ». On vit donc les primes d’encouragement à la culture de chanvre se prolonger toute la guerre et quelques années après, vers 1950-955... La culture des légumes se développait alors, plus rentable et moins pénible.

La culture du chanvre

Une seule variété « Cannabis Sativa » avec des sous-variétés : chanvre d’Anjou, du Piémont, de Marolles, d’Écommoy pour les «dioïques». Les tiges mâles fleurissaient avant les femelles. Cela créait des problèmes. On les simplifia en utilisant des variétés « monoïques » dont tous les pieds arrivaient à maturité en même temps. Cela permit une mécanisation très légère de la récolte.

En effet, jusqu’à cette amélioration, la récolte se faisait manuellement par arrachage, travail épuisant sous la chaleur de début septembre. On pratique le fauchage dans les années d’après-guerre. Les semis avaient été exécutés au mois de mai dans des terrains très ameublis, comprenant trois labours et quasi-labours (hersage). L’apparition du « rotovator », en 1952, simplifia cette phase de labours…

Les semis  s’effectuaient à la volée, à faible profondeur, dans des raies de 33 cm de large tracées à la « rayonneuse », genre de charrue sans versoir qui travaillait le sol sur quelques centimètres de profondeur, ouvrait une raie en repoussant, sur la raie précédente, la terrain ameubli convenablement. L’auteur de ces lignes a pratiqué ce genre de semis. L’accompagnement des petits oiseaux, coquins, friands de chènevis, obligeait à faire vite ! On utilisa, dans les années 50, le petit semoir en ligne qui donna de bons résultats. Il fallait néanmoins surveiller la levée des graines tant les amateurs ailés se précipitaient sur les germes !

 

La culture. Dès lors que la levée de la graine était assurée, la plante se défendait remarquablement quand apparaît un ennemi nouveau « l’Orobanche », une plante parasite, difficile à combattre, apparue dans la région dans les dernières années de la culture. Elle se développait sur les pousses jusqu’à les faire disparaître. Décourageant pour le producteur ! La culture du chanvre ne demandait aucun soin. Le chanvre est une plante vigoureuse qui étouffe les adventices.

La récolte. Fin août, début septembre, on pratiquait l’arrachage manuel. Compte tenu de la rugosité des tiges, il fallait se protéger les bras avec des vêtements qui terminaient là leur usage. On les détruisait à arracher le chanvre ! Même après la récolte à la faucheuse !

 

Le rouissage. L’opération suivant l’arrachage ou la coupe à la faucheuse était la mise en « serrons », paquets genre « fagots de bois » . Beaucoup de termes employés dans le patois local avaient un rapport avec les fagots : le « tas » était «la mouche » et non la « mauche ». La « mouche » voulait bien dire, en terme local, le « tas », l’amoncellement « arrangé » contre la pluie pour les fagots de bois ou pour le « rouissage » du chanvre. Dans les deux cas, on apportait beaucoup de soin à la fabrication ; dans le cas du bois, pour qu’il soit à l’abri des pluies ; dans le cas du chanvre, qu’il « baigne »bien, que toutes les fibres soient au contact de l’eau.

Le rouissage était donc le bain d’une semaine infligé au chanvre pour que fibre (filasse) et bois se détachassent… L’auteur de ces lignes passe sous silence l’extraction de l’eau des serrons dans une odeur nauséabonde et fatigante !

La mise à l’eau, fabrication de la « mouche » requérait un art de « chanvrier » ! On faisait une « liassée » ou « enfiloche », à peu près carrée avec des « serrons » reliés par un brin d’osier solide et long qui servait de base à la « mouche ». Là-dessus, on construisait la « mouche » au carré. En règle générale, elle comportait une vingtaine de douzaines de serrons. On recouvrait la mouche avec des serpillières, puis du sable de grève, à portée de brouette et de madriers  « poutons ». La mouche, bien équilibrée, était dirigée vers le « trou » de rouissage, rattachée à la grève par cordes et piquets… Cela fonctionnait à merveille, dans la mesure où la Loire, impétueuse et les marées d’équinoxe, facétieuses, voire méchantes, laissaient le tout en place. Nous assurions une surveillance quotidienne !

Rouissage du chanvre en Loire

Le séchage était l’opération suivante. Extraction d’abord : une semaine après la mise à  l’eau. Il fallait la pratiquer. Travail pénible s’il en fût ! Dans l’eau jusqu’à la ceinture, équipés de vieux vêtements, le chanvrier « tirait » sa « chambre » de l’eau, la mettant en tas verticaux sur la grève (photo)

Après qu’elle se fût égouttée, on l’étendait, le plus souvent sur la grève de la Loire qui se prêtait bien à cette opération. Étalage, séchage, retournage, bottelage pour mise à l’abri, faisaient partie des travaux, pas désagréables, au bord du fleuve. La météo commandait : quand il faisait beau et sec, il fallait y aller… Pas de fainéants ! Dimanche compris !

Four à chanvre à la Coutancière (La Chapelle-Basse-Mer)

Four à chanvre à la Coutancière (La Chapelle-Basse-Mer)

Le broyage était l’opération avant-dernière. Le chanvre sec, bottelé, avait été mis au grenier au mois de septembre. En décembre, il fallait le reprendre pour le broyage, lequel consistait à séparer la « filasse » des « guettes ».

Un moyen ancestral était l’usage de la « broie » à main, utilisable après que l’on eût fait sécher totalement les fibres au four à pain. Le moyen le plus connu, à notre âge, était la « braierie » comprenant un four spécial chauffé au coke pour le désséchage et un ensemble de rouleaux broyeurs et lisseurs, mus, au début, par des manèges à chevaux, puis par des moteurs électriques.

 

L’emballage pour la vente. Les « poupées » de filasse, manipulées avec soin, peignées avec amour par les chanvriers étaient l’objet d’une torsion qui leur donnait une allure de tête féminine, blonde à souhait. Je parie que nos pères rêvaient lorsqu’ils passaient leurs doigts dans ces mèches blondes !

De toute manière, ces poupées allaient former des « balles » de vingt-cinq kilos environ, que les courtiers viendraient « courtiser », estimer, et acheter…

C’était là l’ultime récompense d’un dur labeur accompli avec efforts, amour… et intérêt…

Faut-il noter que le jour de la livraison, en gare de Mauves, au retour, le « beurre blanc », dans un restaurant local, était habituel et bienvenu ?

Annexe

 

Quelques chiffres concernant la culture du chanvre.

 

14e siècle : Introduction de la culture du chanvre (culture industrielle) dans la région du Mans et, sans doute, sur les bords de la Loire (Histoire de la France Rurale- Leroy-Ladurie).

 

20e siècle : Arrêt de cette culture vers 1958-1960.

 

19e siècle : Vers 1860-1880 : pointe de la production dans la région.

 

19e-20e siècles : On comptait une bonne soixantaine de producteurs dans la vallée de la Chapelle pour une surface minimale de 21 hectares qu’on peut majorer de 50% pour faire une moyenne de 30 hectares, soit 0, 50 ha par exploitant (6 à 7 boisselées).

 

Le rouissage : était interdit dans les eaux dormantes (boires) par un arrêté préfectoral du 1er avril 1909. 

L’application de cette mesure nécessita un courrier ultérieur de la Préfecture au maire de La Chapelle !

 

Le broyage : était effectué dans 10 « braieries » réparties dans la vallée, de l’Epine au Norestier et au

Guineau. Chacune était exploitée par un propriétaire qui louait four et broyeuse aux chanvriers. Certains de ces propriétaires étaient aussi entrepreneurs de battages. Ils rentabilisaient ainsi leur locomobiles à l’hiver, comme source d’énergie…

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