L'osier en vallée de la Loire
Les premières oseraies furent sans doute sauvages.
Les sols profonds, humides souvent noyés avant la construction de la levée, et même après, ont été des terrains de prédilection pour ce saule qui, à l’origine, a bien pu s’y établir spontanément. Puis, par sélection ou apports venus d’autres terroirs sont apparues diverses espèces. L’osier fut, au 19è siècle jusqu’en 1930, une culture très importante dans la vallée. Au cadastre napoléonien de 1810 on recense sur la commune de la Chapelle-Basse-Mer 51 hectares d’oseraies (essentiellement dans l’île Buzay et dans l’île Barre). Un recensement établi vers 1932 donne cent cinquante hectares d’osier dans toute la vallée (communes de la Chapelle-Basse-Mer, Saint-Julien-de-Concelles et Basse-Goulaine).
L’osier était pour nos aïeux une matière première indispensable pour un grand nombre d’activités. On peut citer : les pêcheurs de Loire pour fabriquer les engins de pêche, nasses, bosselles, etc..
Les tonneliers utilisaient l’osier fendu pour la jonction des cercles de barriques, les vignerons pour attacher les pièces des ceps de vignes, les fagots de bois de chauffage étaient liés à l’osier, les jardiniers de Nantes transportaient leurs légumes au marché dans des paniers d’osier. Localement la récolte des asperges se faisait avec des paniers en osier, le plastique n’existant pas encore. Même la peau de l’osier en longues lanières après séchage servait de bardages pour les hangars, et ultime utilisation, à clore les innommables cabinets d’aisance quand il y en avait !
Les habitants de cette région lui donnaient un nom particulier : c’était « le pelon ». Le nom de beaucoup d’instruments servant à le blanchir avait cette racine : peloir, peloués, peau, dépouillage (décorticage). Les « peaux de pelon » séchées servaient souvent au bardage de bâtiments sommaires.
Les variétés cultivées étaient nombreuses :
1 - l’Ardennais (ou petit jaune), très souple en vert, était utilisé sans décorticage pour la vannerie locale : paniers de cueillette d’asperges, de raisins, de haricots et multiples légumes ; ligatures de la vigne et autres.
2 - la Lusse qui poussait très fort dans les terrains humides. Il n’était pas rare que les pousses dépassent les « six pieds » en longueur (deux mètres) et le « demi pouce » en diamètre à la base. Le rendement de cette variété en poids/ha était remarquable. Par contre, son utilisation en vannerie était peu prisée des acheteurs. Souvent il partait pour la pâte à papier…
3 - le Sarda, le plus ligneux, était lui très estimé en vannerie après « blanchiment », c’est-à-dire décorticage et séchage. A la culture, il était moins volumineux que la Lusse mais, du fait de sa bonne texture, donnait aussi de bons rendements. Très sensible aux insectes, il se ramifiait dès qu’une chenille lui avait coupé le bourgeon terminal. Il fallait donc le surveiller et apporter le traitement insecticide adéquat. L’adéquation, en ce domaine, n’était pas évidente. Il fallut chercher l’insecticide convenable… Avant 1950, beaucoup utilisaient ce que le commerce mettait à leur disposition. On utilisait la nicotine ! Le Rhodiatox, insecticide systémique, fut efficace à partir de son apparition dans les années cinquante…
Les étapes de la culture :
L’osier était une culture pérenne. Son implantation sur une parcelle durait une quinzaine d’années. L’introduire sur une parcelle était simple : après un profond labour (30 cm), on enfonçait dans le sol un brin d’osier, à force, sur une vingtaine de centimètres et le coupait à 7-8 cm du sol en surface pour faciliter les binages à cheval. On le plantait en lignes, au cordeau, espacées de « deux pieds », à « un pied » de distance, sur la ligne..
Cette opération se faisait au printemps et, à la fin de l’hiver suivant, les pousses étaient présentes à partir des bourgeons supérieurs. Les bourgeons antérieurs avaient développé des racines d’autant plus vigoureuses que le sol était favorable…
Les pousses d’un an (pas plus) étaient coupées chaque hiver. Le pied restant en place formait une « souche »… une souche de p’lon ! qu’on appelait aussi une « soupée (ou cépée)» quand elle avait atteint un âge respectable (10 ans).
Après la coupe, courant de l’hiver, venaient, pour les variétés « blanchies », les opérations en vue du décorticage, effectuées au printemps.
Première opération : le triage par longueurs variant d’un « pied ». L’osier coupé avait été « bottelé » en bottes de 1 m 02 de circonférence environ. La norme de 1 m 02 n’était exigible que pour la vente en brut, c’est-à-dire non décortiqué.
Les osiéristes se débrouillaient pour le triage par « pieds ».
Ils mettaient la « botte » sur un chevalet, y incluaient une « mesure » cochée par pieds, et tiraient par la pointe les brins d’osier correspondants. A la fin de la botte, lorsqu’elle ne représentait que du « petit », en vrac, on continuait l’opération dans une barrique à vin défoncée d’un bout !
L’osier ainsi « bien trié » était ensuite mis à sèvrer, en terre facile. En quelques semaines, la sève montait, l’osier devenait dépouillable (décorticable).
Le décorticage ou « dépouillage » se faisait à l’aide de chantiers équipés de « peloués » (peloirs). Ces instruments, ainsi dénommés, étaient fabriqués par les artisans locaux. Après usage, ils les « rechargeaient » pour l’année suivante. Il s’agissait de deux barres de fer aciéré, de 0 m 35, jointes à la base en un bloc commun et évasées au sommet pour permettre l’ouverture par le brin d’osier ; lequel, coincé de chaque côté, laissait sa « peau » accrochée au peloir. L’ouvrier fournissait l’énergie en tirant, côté droit sur l’osier blanc, côté gauche sur la « peau de p’lon ». Quand le peloir était plein de « peaux », on les retirait pour faire une « poupée de peaux de p’lon » ! qu’on faisait sécher et utilisait après, à des fins diverses. Certaines ont tenu des années comme bardages de hangars…
Le « blanc », le noble, était lui mis à sécher. Selon l’hygrométrie, il en sortait plus ou moins blanc ! Mais les vanniers l’appréciaient séché, bottelé en 1 m 02, avec précision par la machine à botteler. Il était stocké en attente de l’acheteur qui se manifestait plus ou moins tardivement, suivant le marché…
En général, les petits longueurs, à destination de la vannerie régionale, partaient bien étant prisées pour leur qualité ; mais les grandes et grosses lusses meublaient les greniers au désespoir du récoltant…lequel n’avait d’autre recours que de continuer à biner, traiter, tailler son oseraie, blanchir ses pousses et accumuler, dans son grenier, un stock plus important d’osier blanchi… D’où, dans les années 50 et progressivement 70, l’abandon de cette culture dans la vallée.
Je n’ai pas parlé de la mécanisation du décorticage grâce à la machine à p’lon qui fit son apparition dans les années 1930. Elle n’a eu que cet usage. Elle permettait un travail plus rapide mais non moins pénible. De plus, l’écorce ou peau de p’lon était complètement brisée, inutilisable.
Animée par une source d’énergie le plus souvent électrique, il s’agissait de griffes d’acier souple montées sur un tambour rotatif tournant à 500 - 600 T/minute. L’ouvrier fournissait une énergie inverse de celle du peloir ; il retenait la poignée d’osier introduite dans la machine par ses soins. Le rendement horaire était amélioré mais la fatigue de l’opérateur n’était pas diminuée !
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